Quelques brèves concernant l’Amazonie et les Indigènes du Brésil AYA Info – No 142 Genève, le 23 décembre 2022

« AYA Info » est en ligne sur trois sites Internet : Humanitaire.ws et MCI et AYA-info

 

Conformément à ce qui a été annoncé dans le bulletin No 123, cette édition est la reprise des notes publiées dans le blog que la « Tribune de Genève » nous a invités à tenir dans son édition électronique.

 

 

Brésil, 1er tour des élections : deux femmes Indigènes à la Chambre des Députés

Les élections brésiliennes du 2 octobre, en particulier le scrutin concernant la présidence du pays, ont abondamment été commentées dans les médias. Pour rappel, Lula a obtenu 57’258’115 voix (48,43 %), Bolsonaro 51’071’277 voix, (43,20 %). Un deuxième tour aura lieu le 30 octobre. Á relever qu’à Genève, la police a dû intervenir pour éviter un affrontement physique entre les supporters de Lula et ceux de Bolsonaro. Selon Swissinfo, dans la cité du bout du lac, Lula a obtenu 1’981 voix et Bolsonaro 1’930. Á Zurich, Lula a obtenu 47 % des voix et Bolsonaro 39,4 %.

Moins connus sont les résultats concernant les indigènes. Pour porter la défense des droits des indigènes à la Chambre des Députés (qui compte 513 membres) ou dans les Assemblées Législatives des États de l’Union, l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil – APIB a constitué une « Bancada Indígena », dite aussi « Bancada do Cocar *», un groupe de pression d’une trentaine de membres désignés par ses associations de base. Douze candidat-es, de douze États différents, visant un siège à la Chambre des Députés, et dix-huit candidat-es pour siéger dans les Assemblées Législatives de seize des vingt-sept États de l’Union. Au total, les membres de cette « Bancada do Cocar » ont recueilli 446’885 voix (352’473 pour les candidat-es à la Chambre des Députés et 94’412 pour les candidat-es aux Assemblées Législatives). La « Bancada » n’a pas obtenu de siège dans ces dernières. Il en va autrement pour la Chambre des Députés. En effet, Sônia Guajajara (avec 156’966 voix) a été élue pour y représenter l’État de São Paulo et Célia Xakriaba** (avec 101’154 voix) le Minas Gerais. Malheureusement, l‘avocate Joênia Wapichana, qui avait été élue en 2018 avec 8’491 voix pour représenter l’État de Roraima a subi un échec. Malgré un score nettement supérieur – elle a recueilli 11’221 voix (+ 32,15 %) – le système de péréquation a joué en sa défaveur. Elle reste la première femme indigène de l’histoire du Brésil à avoir été élue à la Chambre des Députés.

Hors « Bancada do Cocar», trois autres indigènes ont été élu-es à la Chambre des Députés. Paulo Guedes du Parti des Travailleurs – PT, était déjà député durant la législature qui se termine où il représentait l’État du Minas Gerais. Il s’était alors déclaré de race « Parda » (Métisse). Mais, pour le scrutin du 2 octobre, toujours sous l’étiquette du PT, il s’est déclaré « Indigène ». Il a été réélu avec 134’494 voix (en 12e position) pour représenter l’État de São Paulo. Toujours pour cet État, Juliana Cardoso, aussi du PT, a recueilli 125’517 voix (en 45e position). Ainsi, cet État compte trois indigènes parmi ses 70 députés. Les électeurs de l’Amapá – un État du Nord-Est – ont également élu une indigène parmi leurs huit représentants à la Chambre : Il s’agit de Silvia Waiãpi du Parti Libéral – PL, une militaire et « bolsonariste » affirmée. Sera-t-elle la voix discordante au sein de la minorité indigène ? Avec 99 représentants, le PL est le parti le plus important de la Chambre. Selon l’APIB, le Parti Libéral est l’un de ceux qui – au Congrès National – a le plus voté (à 90%) en faveur des projets anti-indigènes du gouvernement !

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*Voir AYA Info No 141

**Prononcer «Chakriaba »

PS  : Les chiffres sont tirés du dépouillement réalisé par le quotidien « O Estado de São Paulo » / Estadão et le Tribunal Supérieur Électoral / TSE

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 Les élections au Brésil : pas toujours facile de participer !

En Suisse, nous sommes appelés aux urnes plusieurs fois dans l’année. Le vote par correspondance et la proximité des locaux de vote facilitent l’expression des citoyen-es. Reste que malgré ces dispositions, les taux d’abstention sont élevés. Au Brésil, les électrices et électeurs sont appelés aux urnes tous les quatre ans pour les élections municipales (la dernière fois en 2020). Et aussi tous les quatre ans – c’est le cas cette année – pour l’élection des membres de la Chambre des Députés, d’une partie du Sénat, des Gouverneurs et des Assemblées législatives des vingt-sept États de l’Union et la Présidence de la République. C’est le deuxième tour qui a lieu ce 30 octobre. Il s’agit d’un vote au moyen d’urnes électroniques ce qui accélère le dépouillement. Mais du point de vue géographique, le Brésil n’est pas la Suisse. Il y a, certes, de grandes agglomérations (São Paulo, Rio de Janeiro…), mais aussi de grandes zones rurales à très faible densité démographique où, pour les citoyen-es, se déplacer pour aller voter prend du temps et peut réserver des surprises comme cela est arrivé récemment.

Le 18 octobre, l’Association Conseil aux peuples de la Forêt – Aflora* de Manaus s’est adressée au Ministère Public Fédéral pour lui signaler qu’environ 400 Yanomami originaires du Haut Rio Demini étaient restés bloqués à Barcelos**(État d’Amazonas), chef-lieu de leur commune, où ils étaient « descendus » pour voter le 2 octobre. Il n’y avait pas de local de vote à proximité de leurs « xapono »*** (villages). Ils comptaient sur l’appui de la municipalité pour rentrer chez eux. Leurs villages les plus proches sont à environ 14 heures de pirogue du chef-lieu. Á Barcelos, le taux d’abstention a été de 35,97%. Un même taux d’abstention a été observé dans les deux communes un peu plus à l’ouest qui comptent, elles aussi, de nombreuses communautés indigènes : à Santa Isabel do Rio Negro, il a été de 37,5%  et à São Gabriel da Cachoeira 32,47%. Au niveau national il a été de 20,95 %.

Ailleurs au Brésil, d’autres communautés indigènes ont eu des problèmes de participation. Le 21 octobre, l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil – APIB a demandé au Tribunal Supérieur Électoral (TSE)  que des mesures soient prises pour garantir – sur tout le territoire national – le transport et la sécurité de la population indigène permettant à celle-ci d’exercer son droit de vote lors du 2ème tour ce 30 octobre. Dans son courrier, l’Articulation rapporte des cas d’absence de moyens de transport et des cas d’intimidations à l’origine d’un taux élevé d’abstention (27,8% dans une commune de l’État de Bahia).

Le 19 octobre, le Tribunal Suprême Fédéral – STF a autorisé les administrations communales à fournir des transports publics gratuits le jour des élections sans que cela constitue un crime électoral. Qu’en est-il pour les communautés indigènes éloignées des locaux de votes quand le déplacement s’étend au-delà du jour des élections ?

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*Aflora est un partenaire de la Secoya – Service et Coopération avec le peuple Yanomami dont l’action est soutenue par AYA.

**Avec ses 122’476 km2, (soit quasiment trois fois la Suisse) la Commune de Barcelos est immense. Le préfet (le maire) Edson de Paula Rodrigues Mendes, est affilié au Mouvement Démocratique Brésilien (MDB), Selon un relevé de l’APIB, au Congrès national, ce parti a soutenu 91 % des projets du gouvernement.

***Prononcer « Chapono »

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Brésil, l’élection de Lula ouvre de nouvelles perspectives pour les indigènes

« L’amour a vaincu la haine. Vive la démocratie ! » C’est par ces quelques mots que Joênia Wapichana, la première femme indigène de l’histoire du Brésil à être élue à la Chambre des Députés (1), a manifesté sa satisfaction à l’annonce de la victoire de Lula à l’élection présidentielle de ce 30 octobre. « L’espérance a gagné ! Lula président ! Nous allons reconstruire le Brésil ! » a noté sur son compte Facebook Sônia Bone Guajajara, élue – le 2 octobre dernier – à la Chambre des Députés. Les organisations indigènes qui avaient appelé à voter en faveur de Lula lui ont également adressé leurs félicitations, tel le Conseil Indigène de Roraima – CIR : « Félicitations au nouveau Président du Brésil, Luiz Inaácio Lula da Silva. Nous espérons en des jours meilleurs, mais toujours nous resterons fermes et forts dans la lutte. »

Lula a gagné de peu son élection avec 60’345’999 voix (50,9 %) (2) devançant de 2’139’645 voix le président sortant Jair Bolsonaro qui a obtenu 58’206’354 suffrages (49,10%). Il a été relevé 32’200’558 abstentions (20,58 %). Le score de Lula est plus net dans les trois communes de l’État d’Amazonas qui comptent de nombreuses communautés indigènes. ÀBarcelos, Lula arrive en tête avec 4’616 voix (65,02 %), Bolsonaro obtient 2’483 voix (34’98 %); il y a été décompté 4’292 abstentions (36,36 %). À Santa Isabel do Rio Negro, Lula a recueilli 3’703 voix (73,94 %), Bolsonaro 1’305 (26,06 %); les abstentions y sont très nombreuses 3.631 (40,72 %). À São Gabriel da Cachoeira, Lula a eu 17’090 partisans (80,64 %), Bolsonaro 4’103 (19,36 %); il y a eu aussi  beaucoup d’abstentions : l 10’089 (31,54 %).(3).

Le 27 octobre, Lula a publié une « Lettre pour le Brésil de demain » dans laquelle il décrit – en treize points – son programme de gouvernement. La troisième partie est consacrée au développement soutenable et à la transition écologique : « Notre engagement stratégique est de chercher la déforestation zéro en Amazonie et le zéro en émission de gaz à effet de serre… Nous allons créer un Ministère des Peuples Originaires et révoquer les mesures contraires aux populations indigènes et peuples originaires. Nous allons reconstruire les organes de surveillance et de contrôle de la déforestation. Nous allons mettre un terme à l’orpaillage illégal dans les Terres indigènes. »

Un « Cabinet de Transition Gouvernemental » a été institué par un Arrêté du 8 novembre. Il a pour objectif de préparer les actes (Décrets, etc…) qui seront signés par Lula immédiatement après sa prise de fonctions le 1er janvier 2023. Cette instance comprend trente-et-un groupes techniques. L’un d’entre eux est chargé de traiter des « Peuples Originaires ». Celui-ci est composé de dix membres dont Joênia Wapichana, Sônia Bone Guajajara et Davi Kopenawa Yanomami. Le programme de travail du futur gouvernement brésilien sera chargé, notamment en ce qui concerne l’écologie, de la protection des peuples indigènes et de la forêt.

Le premier déplacement de Lula à l’étranger a été, après un arrêt à Lisbonne, de se rendre (4) à la conférence sur le climat (COP 27) qui se tient à Charm el-Cheikh en Égypte. Lula a proposé que la COP 30 (prévue en 2025) se tienne en Amazonie.

Il dispose de peu de temps si, dans trois ans, il veut y présenter des résultats satisfaisants, en particulier pour les organisations et communautés indigènes locales qui lui ont apporté leur soutien !

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(1) Elle a échoué dans sa tentative de réélection le 2 octobre.

(2) Lors de sa première élection en 2002 Lula avait été élu avec 61,27 % des voix et, en 2006, pour son deuxième mandat 60,83%. Voir Wikipedia.

(3) Voir la note précédente

(4) Il a fait le voyage en jet privé, un moyen de transport particulièrement polluant… Ce qui a engendré une polémique.

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PS 1 : Les chiffres sont ceux publiés par l’agence g1.globo

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PS 2 : L’activation des liens hypertextes (en bleu) renvoie à une partie des sources utilisées pour la rédaction de cette note. Ces sources, souvent en portugais, permettent d’en « savoir plus ».

 A nos lectrices et lecteurs : dans ce temps de crise à diverses facettes nous souhaitons que chacune et chacun voie se réaliser au moins quelques-uns de ses vœux les plus chers dans l’année qui vient.

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AYA – Appui aux indiens Yanomami d’Amazonie

13, Rue des Bossons – CH – 1213 Onex / Genève –

CCP 15-728614-8 / IBAN CH 26 0900 0000 1572 8614 8

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