Quelques brèves concernant l’Amazonie et les Indigènes du BrésilAYA Info – No 100 – Genève, le 26 février 2015

Service de santé : des Yanomami manifestent leur mécontentement / Les langues indigènes sont menacées de disparition / PEC 215 : C\’est reparti / Complexe hydroélectrique sur le RioTapajós, les Munduruku veulent être consultés.

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Service de santé : des Yanomami manifestent leur mécontentement
Le 19 janvier, une cinquantaine d\’Indiens Yanomami, Xirixana et Xiriana ont occupé l\’immeuble du Secrétariat spécial de santé indigène – SESAI dans le centre de Boa Vista, la capitale de l\’Etat de Roraima. Les Indiens se plaignent du manque de médicaments et plus généralement des lacunes du service de santé dans la Terre Indigène Yanomami. Ils demandent le départ de Maria de Nascimento, la coordinatrice du District Sanitaire Yanomami – DSEI-Y. Selon le leader Júnior Yanomami, « … l\’état de santé dans l\’aire Yanomami a empiré ces quatre dernières années. Nous sommes ici pour revendiquer des améliorations pour nos enfants« . Le 27 janvier, les premiers manifestants ont été rejoints par d\’autres Yanomami. Selon nos informations ils ont maintenant quitté les lieux.
Selon Davi Kopenawa, le président de l\’Hutukara Associação Yanomami, cette occupation n\’a pas fait l\’objet d\’une concertation préalable avec les leaders des autres régions couvertes par le DSEI-Y : « Nous sommes en faveur du maintien de Maria Nascimento parce qu\’elle n\’a pas terminé son travail« . Davi reproche aux leaders qui ont initié la protestation d\’avoir agi pour des motifs personnels. Selon la « Folha de Boa Vista« , l\’association Kurikama qui rassemble les Yanomami de l\’État d\’Amazonas, elle aussi, n\’est pas favorable au départ de la responsable. Elle regrette également de ne pas avoir été consultée au sujet de cette opération. Pour ces organisations indigènes, le problème de la santé dans les communautés indigènes est davantage lié au manque de moyens mis à disposition qu\’à la personnalité des responsables du service de santé.
Les déficiences du service de santé ont maintes fois été dénoncées. La « Folha de Boa Vista » a eu connaissance d\’un rapport interne au Sesai faisant état, pour les huit derniers mois de 2014, de la mort de 117 Yanomami dans les unités de soins coordonnées par le Dsei-Y.
En décembre 2013*, une manifestation organisée par les associations indigènes avait eu lieu pour demander le départ de Claudete Schuertz, qui était la titulaire du poste. Les manifestants avaient obtenu gain de cause en janvier 2014.
* Voir « AYA Info » No 90 du 14 février 2014
Les langues indigènes sont menacées de disparition
Au Brésil, les langues indigènes sont en danger. Selon José Carlos Levino , le directeur du Musée de l\’Indien de Rio de Janeiro, dans les 15 ans à venir, le pays court le risque de perdre jusqu\’à 60 langues indigènes sur les 150 à 200 parlées actuellement. À l\’occasion de la rencontre de Foz d\’Iguaçu dont il est question ci-dessous, José Ribamar Bessa Freire, professeur à l\’Université fédérale de l\’État de Rio de Janeiro, a publié un article dans lequel il rappelle qu\’en cinq siècles, soit depuis le début de la colonisation, plus de 1\’100 langues indigènes ont disparu de la carte du Brésil… Des initiatives sont prises pour tenter de limiter la perte culturelle que constitue la mort de ces langues. En voici quelques exemples.
Le 2 décembre 2014, le Conseil municipal de Bonfim * (dans l\’État de Roraima) a approuvé une loi municipale (No 21/2014) qui reconnaît les langues Macuxi et Wapichana comme langues co-officielles de la municipalité au même titre que le portugais.
La proposition de loi avait été discutée entre leaders et professeurs de langues indigènes de la région de Serra da Lua depuis 2012. Elle a été présentée au Conseil municipal en février 2013 par les élèves de l\’Institut Insikiran et des représentants de l\’Organisation des Professeurs Indigènes de Roraima – OPIRR). Tous les conseillers ont appuyé le projet. Le processus a été suivi par les membres de cet Institut de formation supérieure indigène rattaché à l\’Université Fédérale de Roraima – UFRR. Celui-ci développe un programme de revitalisation et de valorisation des langues Wapichana et Macuxi. La municipalité a maintenant cinq ans pour mettre en œuvre la loi, engager des traducteurs et interprètes indigènes pour traduire des documents, les panneaux de signalisation et financer la publication de livres pour l\’enseignement.
Dans l\’État d\’Amazonas, en 2002 déjà, la municipalité de São Gabriel da Cachoeira a officialisé trois langues indigènes : le Nheengatu, le Tukano et Baniwa. En 2010, dans le Mato Grosso do Sul, la municipalité de Tacuru a reconnu le Guarani comme seconde langue officielle.
En septembre 2014, trois langues ont reçu le titre de « Référence culturelle brésilienne »: le Talian parlé par les descendants d\’émigrés italiens dans le sud du Brésil, surtout dans les États du Rio Grande do Sul et de Santa Catarina; l\’asurini do Trocará ou asurini du Tocantins, langue parlée par le peuple indigène Asurini qui vit sur les rives du rio Tocantins, dans la municipalité de Tucuruí (État du Pará) et le Guarani Mbya qui est une des trois variétés de la langue guarani. Ce Guarani est parlé dans une bande du littoral qui va de l\’État de l\’Espírito Santo au Rio Grande do Sul, et au-delà de la frontière, en Argentine, au Paraguay et en Bolivie. Ces langues sont les premières à être inscrites à l\’Inventaire National de la Diversité Linguistique – INDL par l\’Institut du Patrimoine Historique et Artistique National – IPHAN. Cet « Inventaire » a été créé par décret présidentiel (No 7.387) du 10 décembre 2010. La cérémonie officielle de certification a eu lieu lors du Séminaire Ibéro-Américain de Linguistique qui s\’est tenu à Foz d\’Iguaçu en novembre 2014.
La reconnaissance officielle des langues indigènes est capitale pour leur sauvegarde. L\’enseignement de ces langues, notamment dans les écoles indigènes du pays, est un instrument essentiel pour leur préservation. Cela suppose la mise en œuvre de politiques publiques en faveur du développement et de la consolidation de l\’éducation scolaire indigène différenciée bilingue. Une différenciation prenant en compte, notamment, la culture, l\’organisation sociale, l\’histoire, la philosophie, les croyances, les connaissances traditionnelles de chaque peuple dont la langue est porteuse. Quand cela n\’a pas été fait, la consolidation demande le passage de la langue orale à la langue écrite. C\’est un travail conséquent, généralement réalisé avec le concours de linguistes. La participation des représentants des peuples concernés est indispensable.
Dans l\’État d\’Amazonas, le Conseil de l\’Éducation Scolaire Indigène – CEEI rattaché au Secrétariat de l\’Éducation – SEDUC travaille dans ce sens. En août 2014, sous l\’égide du Département de politiques et programmes éducationnels – Deppe , il a publié un « Modèle de référence » pour les écoles de l\’enseignement fondamental et moyen. Notre partenaire, le Service de Coopération avec le peuple Yanomami – SECOYA a participé à la démarche du CEEI. Au sein de son secteur « éducation« , la SECOYA** a développé un programme de formation de professeurs indigènes Yanomami soutenu par Terre des Hommes Suisse et Luxembourg.
Ces diverses initiatives seront-elles suffisantes pour enrayer la constante disparition des langues indigènes ? Sont-elles suffisantes en regard de l\’application de l\’article 28 de la Convention 169 de l\’Organisation Internationale du Travail – OIT qui prévoit que « Des dispositions doivent être prises pour sauvegarder les langues indigènes des peuples intéressés et en promouvoir le développement et la pratique » Cette Convention a force de loi au Brésil.
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* La municipalité de Bonfim, d\’une superficie de 8\’000 km2, compte environ 11\’600 habitants dont 44 % sont des indigènes. Elle est située au nord est de l\’État de Roraima à la frontière avec la Guyana dont elle est séparée par le Rio Tacutu. La localité de Bonfim est à 125 km de Boa Vista, la capitale de l\’État.
** Voir « AYA Info » No 73 , No 85 , No 96 et No 97 .
PEC 215 : C\’est reparti
Cela n\’a pas duré, la Proposition d\’amendement constitutionnel – PEC No 215/2000 qui donnerait au parlement le pouvoir, jusque-là attribué au gouvernement, de décider, en dernier ressort, de la démarcation des terres indigènes, mais aussi de la révision de celles déjà démarquées, est de nouveau à l\’ordre du jour de la Chambre des députés. La proposition avait été classée en décembre 2014* sans avoir été adoptée. Avant même l\’ouverture – le 2 février 2015 – de la nouvelle législature (la 55e) des informations ont fait état de la remise à l\’ordre du jour de la Chambre des députés de l\’examen de cette proposition. Effectivement, ce jour-là, le député Luis Carlos Heinze, membre du lobby de l\’agrobusiness, a déposé une demande dans ce sens au nouveau président de la Chambre, Eduardo Cunha.
Le même jour à Brasilia, un groupe d\’une cinquantaine de Kayapó s\’est présenté à l\’entrée du Planalto, le Palais présidentiel. Ces indiens de l\’État du Pará ont diverses revendications qu\’ils veulent exposer à l\’occasion d\’une audience avec des ministres et la présidente de la république. Le 4 février, le président de la Chambre des Députés a reçu une délégation de cinq d\’entre – eux accompagnés de députés des fronts parlementaires écologiste et de défense des peuples indigènes.
Les Kayapó ont répété que la terre est synonyme de vie pour les indiens et que l\’éventuelle approbation de la PEC 215 ne respecterait pas les droits des indigènes assurés dans la Constitution de 1988. De leur point de vue, les Blancs veulent une guerre contre les indigènes du Brésil : « Nous allons montrer que nous sommes prêts pour cette guerre ! » Le président Cunha a rappelé que le règlement interne (de la Chambre) ne lui permet pas d\’empêcher le retour de la PEC devant les députés si cela est demandé. Il s\’engage à offrir les conditions d\’un dialogue pour que les indigènes soient entendus par la Chambre. Les parlementaires favorables à la cause indigène comme José Sarney Filho, Chico Alencar et Nilto Tatto ont affirmé leur intention de tenter une conciliation avec les « ruralistes » pour éviter le débat parlementaire. Ils savent la détermination des indigènes à résister. Ils veulent éviter une éventuelle effusion de sang et la mise en place des conditions conduisant au génocide des peuples indigènes du Brésil. Jerônimo Goergen, un député représentant les ruralistes a répété que l\’adoption de la PEC 215 est l\’une des priorités de son groupe parlementaire…
Selon le Conseil Indigéniste Missionnaire – CIMI, à Brasilia, les représentants des peuples indigènes de l\’État du Rondônia (Suruí, Cinta Larga, etc.) prennent la relève des Kayapó pour exprimer leur hostilité à la PEC 215.
* Voir « AYA Info » No 99 du 21 janvier 2015
Complexe hydroélectrique sur le RioTapajós, les Munduruku veulent être consultés
Le 30 janvier dernier, des représentants du peuple Munduruku ont remis un « protocole » à Miguel Rossetto, le nouveau Secrétaire Général de la présidence de la république. Ce document expose comment ils entendent être consultés à propos de la construction du complexe hydroélectrique prévu sur le rio Tapajós. Un ouvrage susceptible d\’inonder leur territoire et qui les obligerait à le quitter. Ils ont préparé ce document au cours de trois réunions qui ont eu lieu en septembre et décembre 2014 dans leurs communautés. Ils ont été conseillés par le collectif « Consulta préavia, livre e informada » et par le Ministère public fédéral. Il s\’agit pour eux d\’appliquer les dispositions de l\’article 6 de la Convention 169 de l\’Organisation Internationale du Travail – OIT.
Dans le premier paragraphe, en guise de condition préalable à la consultation, ils exigent du gouvernement la démarcation de la Terre Indigène Sawré Muybu (reconnue comme telle par la Fondation Nationale de l\’Indien – FUNAI) dont ils affirment que le processus n\’avance pas à cause de ce projet de barrage. Ils expriment leur refus d\’être déplacés. Ils demandent la protection des groupes isolés présents sur leur territoire. Ils veulent que les autres communautés riveraines soient aussi consultées.
Une deuxième partie du document traite d\’abord de l\’espace géographique sur lequel doit porter la consultation : tous les villages du Haut, Moyen et Bas Tapajós. Et les groupes de personnes à être consultés : les caciques, les leaders et guerriers, les femmes, les étudiants et enseignants. Les organisations indigènes doivent participer à la consultation, « mais jamais seules« … « Les décisions du peuple Munduruku sont collectives« .
Une troisième partie décrit la manière de réaliser la consultation. Celle-ci doit avoir lieu dans les villages en tenant compte du calendrier des activités économiques et culturelles. Elles doivent se dérouler en langue Munduruku. Les indiens se réservent le choix des traducteurs. Ils souhaitent la présence du Ministère Public Fédéral et de partenaires non indiens choisis par eux. Pour que la consultation soit réellement libre, ils refusent la présence des corps armés de l\’Etat : Police militaire, Police fédérale, armée… Pour leur sécurité, ils veulent filmer les réunions. Ils mettent des conditions aux partenaires et agents du gouvernement qui souhaitent prendre des photos ou filmer les rencontres : être autorisés par eux et leur remettre des copies. Ils refusent de voir leurs lieux sacrés filmés ou photographiés. Ils n\’acceptent pas la divulgation et l\’usage indu de leurs images.
Dans une quatrième partie, ils définissent les étapes de la consultation : 1.- Arriver à un accord avec le gouvernement sur les étapes de la consultation. 2.- Organiser des réunions d\’information où le gouvernement explique ses intentions. 3.- Tenir, autant que nécessaire, des réunions internes au peuple Munduruku pour que tous soient informés de manière complète et définir une position. 4.- Avoir une réunion de négociation avec le gouvernement sur le territoire Munduruku : « Le gouvernement doit entendre et répondre à notre proposition, même si elle est différente de la sienne »… « Nous espérons que le gouvernement respecte notre décision. Nous avons un droit de veto!« 
En décembre 2014, pour marquer leur détermination, les Munduruku ont symboliquement procédé à une auto-démarcation de leur territoire en faisant une trouée dans la forêt à la frontière de leur terre indigène.
Comme le barrage de Belo Monte sur le rio Xingu, le complexe hydroélectrique sur le rio Tapajos est controversé. En 2012 et 2013 ce projet a été la cause d\’incidents (1). En mars 2014, le gouvernement brésilien a été dénoncé à l\’ONU (2) pour le non respect de ses obligations envers les peuples indigènes du pays dans le dossier des grands barrages en construction ou en projets.
Selon Pedro Martins, conseiller juridique de l\’ONG « Terra de Direitos » (Terre de Droits), « Un nouveau « cycle » [de développement] qui a comme « abre-alas » (3) le complexe hydroélectrique de Tapajos – est marqué par une série d\’ouvrages d\’infrastructures dont l\’objectif est de viabiliser l\’avancée de la culture de soja et l\’accélération de l\’exploitation de minerai… La « Sortie Nord » (4) devra diminuer de moitié le coût d\’écoulement des grains, spécialement le soja…« 
Les Munduruku sont confrontés à d\’énormes intérêts.
(1) Voir « AYA Info » No 77, No 83, No 84 et No 85
(2) Voir « AYA Info » No 91
(3) « abre-alas » se traduit en français par panneau, étiquette; mais c\’est aussi le nom donné à un char allégorique qui ouvre le défilé d\’une entité carnavalesque.
(4) La « Sortie Nord », c\’est le rio Tapajós et ses infrastructures portuaires notamment.
Bernard Comoli
Important : L\’activation des liens hypertextes renvoie aux sources utilisées pour la rédaction de ce bulletin. Elles sont souvent en portugais, sauf quand il s\’agit d\’anciens « AYA Info ».
PS : Ces brèves sont souvent reprises, détaillées et parfois illustrées, dans un blog du quotidien « La Tribune de Genève » à l\’adresse suivante : http://bcomoli.blog.tdg.ch
AYA – Appui aux indiens Yanomami d\’Amazonie
15 Chemin de la Vi-Longe – CH – 1213 Onex / Genève – CCP 17-55066-2

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