Quelques brèves concernant l’Amazonie et les Indigènes du Brésil AYA Info – No 89 – Genève, le 30 décembre 2013

« La Terre des hommes rouges » est en deuil : Ambrósio Vilhalva (Nádio) a été assassiné / Démarcation des Terres Indigènes (1) : la « Bancada ruralista » marque des points / Démarcation des Terres Indigènes (2) : Les indigènes hostiles au projet ministériel / François Hollande, le Brésil, la Guyane et l’orpaillage illégal.

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« La Terre des hommes rouges » est en deuil : Ambrósio Vilhalva (Nádio) a été assassiné
Ambrósio Vilhalva, le plus connu des leaders Guarani Kaiowá a été assassiné à coups de couteau au soir du 1er décembre sur le chemin de sa maison, dans le campement Guyraroká, sur la municipalité de Caarapó (État du Mato Grosso do Sul). Il avait tenu le rôle de Nádio dans le film* « Terra Vermelha » que Marco Bechis a consacré à la lutte des Guarani pour la récupération de leurs terres. Dans le film, Nádio est abattu par un « pistoleiro ». Hélas, la réalité a rejoint la fiction !
Les circonstances de l\’agression d\’Ambrósio ne sont pas encore éclaircies. Un membre de sa famille, un moment soupçonné, a été relaxé. Les leaders Guarani de l\’Aty Guasu contre le génocide ont enquêté auprès de la famille du défunt. Selon la note qui a été publiée, les assassins ne sont pas des indigènes. Ils demandent que l\’enquête soit confiée à la Police fédérale plutôt qu\’à la Police civile.
Ambrósio se savait menacé en raison de son combat pour la démarcation de la Terre Indigène (TI) Guyraroká, la terre de ses ancêtres. C\’est une TI de 114 km2, reconnue par le Ministère de la Justice depuis octobre 2009 comme étant traditionnellement occupée par les Guarani Kaiowá. Mais le processus de démarcation n\’a pas été conduit à son terme. La communauté n\’occupe que quelques dizaines d\’hectares, la plus grande partie étant cultivée par des fazendeiros. Le conflit avec ces derniers a pris une tournure plus aigüe depuis 2004 après la publication des études de la Fondation Nationale de l\’Indien – FUNAI qui sont à la base de la reconnaissance du Ministère de la Justice.
Comme beaucoup de Guarani, Ambrósio vivait mal la situation dans laquelle il se trouvait. Le Conseil Indigéniste Missionnaire – CIMI fait une analyse de cette situation dans une note publiée le 2 décembre. Récemment, Survival – l\’organisation indigéniste – a rendu hommage à ce leader de 53 ans.
* « Terra Vermelha » en portugais, « Birdwatchers » en anglais, « La terra degli uomini rossi » en italien. Le film a été présenté au Festival de Venise en 2008, et à Genève, en novembre 2009 en ouverture du festival Filmar en America Latina. Il est possible de visionner une séquence du film (9:08) en cliquant ici.
Démarcation des Terres Indigènes (1) : la « Bancada ruralista » marque des points.
Au soir du 10 décembre, la Chambre des Députés a installé la « Commission spéciale » qui va analyser la Proposition d\’Amendement Constitutionnel No 215/00 – PEC 215/00 qui transfère, du Gouvernement fédéral au Congrès national, l\’attribution d\’approuver la démarcation des Terres Indigènes (TIs). Une opération conduite par le « Frente Parlamentar da Agropecuária« , plus souvent appelé « Bancada ruralista », soit le lobby de l\’agrobusiness. Ses représentants sont majoritaires au sein de la Commission. Dans la pratique, la proposition vise à paralyser la démarcation des TI. Les organisations indigènes ont mené campagne contre cette proposition.* Un groupe d\’indigènes a protesté au moment de l\’installation de la Commission.
Concrètement, la PEC 215/00 modifie deux articles de la Constitution de 1988. Elle ajoute un dix-huitième paragraphe à l\’art. 49 qui énumère les compétences exclusives du Congrès National : « XVIII – Approuver la démarcation des terres traditionnellement occupées par les indiens et ratifier les démarcations déjà homologuées ». Et l\’article 231 qui traite « Des Indiens » est modifié au § 4 : « Les terres dont il s\’agit dans cet article, après la démarcation approuvée ou ratifiée par le Congrès National, sont inaliénables et indisponibles et les droits sur elles imprescriptibles ». Un huitième paragraphe y est ajouté : « § 8 Les critères et la procédure de démarcation des Aires indigènes devront être réglementés par la loi ». Le caractère inconstitutionnel de cette proposition a été exposé à diverses reprises. Encore le 3 octobre dernier, le ministre de la Justice, José Eduardo Cardozo, a adressé un avis à ce sujet à Henrique Eduardo Alves, Président de la Chambre des Députés. Selon cette note, la proposition porte atteinte à plusieurs articles de la Constitution, notamment ceux traitant de la séparation des pouvoirs; des droits et garanties individuelles des peuples indigènes; du droit originaire des peuples indigènes à leurs territoires traditionnels et à l\’obligation pour l\’Union de les démarquer, protéger et de faire respecter tous leurs biens. Elle porte également atteinte aux objectifs fondamentaux de la république fédérative du Brésil pour la construction d\’une société libre, juste et solidaire, et de promotion du bien de tous, sans préjugés d\’origine, race, sexe couleur, âge et quelques autres formes de discrimination.
La PEC 215/00 a été présentée le 28 mars 2000 par Almir Morais Sá , alors député fédéral de l\’État de Roraima. Elle a été publiée au Journal de la Chambre des Députés le 19 avril 2000, signée par 232 députés. Coïncidence, au Brésil, ce jour-là est la « Journée de l\’Indien » ! Cette année-là, à cette époque, on était alors en pleine célébration du 500e anniversaire de l\’arrivée de Pedro Álvares Cabral au Brésil. Une manifestation marquée par des incidents à Porto Seguro (État de Bahia). À relire la documentation de l\’époque, le dépôt de la PEC 215 est quasiment passé inaperçu.
A suivre !
*Voir « AYA Info » Nos 87, 82 et 38
Démarcation des Terres Indigènes (2) : Les indigènes hostiles au projet ministériel
Si, à diverses reprises, le gouvernement a manifesté son hostilité à la proposition d\’Amendement Constitutionnel, la PEC No 215/00, il n\’a pas caché son intention de modifier la procédure de démarcation des Terres Indigènes. À la fin novembre, José Eduardo Cardozo, le ministre de la justice a remis aux membres de la Commission Nationale de Politique Indigéniste – CNPI, un projet d\’Arrêté portant sur l\’application du Décret No 1775/96 sur lequel s\’appuie la Fondation Nationale de l\’Indien – FUNAI, pour démarquer les Terres Indigènes. Selon le ministre, sa proposition permettra la participation d\’organes intéressés par les démarcations et il augmentera la transparence du processus. Le ministre en attend une réduction de la judiciarisation permettant, finalement, une accélération de la démarcation des Terres indigènes dans tout le pays. Dès le 2 décembre, l\’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil – APIB a pris position contre cette proposition : « Contrairement aux allégations du gouvernement, cet arrêté éternise la non démarcation des terres indigènes, il fragilise la FUNAI. Il représente un cadre alarmant susceptible d\’aiguiser des conflits… L\’APIB appelle tous les peuples et leaders indigènes du Brésil à rester unis dans le refus de cette nouvelle tentative de réduire les droits indigènes assurés par la Constitution. » La proposition du ministre a suscité l\’hostilité des leaders indigènes réunis à Brasilia pour la 5e Conférence Nationale de Santé Indigène. Le 4 décembre, ils étaient plus d\’un millier à manifester devant l\’entrée du Palais présidentiel. Ils ont adressé une lettre ouverte à la présidente de la république rappelant l\’ensemble des mesures législatives, juridiques et politico-administratives qui tendent à réduire les droits originaires des indigènes reconnus par la Constitution et les accords internationaux en vigueur. « Dans le cas du projet d\’Arrêté, nous avons compris qu\’il a été élaboré pour rendre impossible, une fois pour toutes, la démarcation de nos terres pour favoriser les intérêts du latifundium, de l\’agrobusiness et autres capitaux … intéressés par nos territoires. » De son côté, le ministre assure que les indigènes seront entendus sur le projet. Lors de la XXIIe réunion ordinaire de la CNPI, qui a eu lieu à Brasilia du 9 au 12 décembre, le groupe des représentants indigènes a publié une lettre dans laquelle il réaffirme son opposition au projet du ministre de la justice. Compte tenu de l\’importance du sujet pour l\’ensemble des peuples indigènes du pays, il propose l\’organisation d\’une ample consultation des communautés indigènes sur le modèle de ce qui avait été fait pour le Statut des Peuples indigènes ou pour les Conférences nationales de santé ou de l\’éducation indigènes. Il espère, qu\’au final du processus, le gouvernement respecte la décision des communautés dans les termes de la Convention 169 de l\’OIT.
Là aussi, à suivre !
Voir « AYA Info » Nos 84 et 83
François Hollande, le Brésil, la Guyane et l\’orpaillage illégal
Resté quasiment cinq ans dans les tiroirs et devant les Commissions du parlement brésilien, l\’accord, signé en décembre 2008, pour renforcer la coopération entre la France et le Brésil afin de prévenir et réprimer l\’orpaillage illégal en Guyane a été approuvé par la Chambre des députés le 12 décembre dernier. Le président français était alors en visite officielle au Brésil. Le parlement français l\’avait adopté en juillet 2011 déjà. Cet accord, voulu par les deux présidents Lula et Sarkozy en février 2008, concerne les zones protégées ou d\’intérêt patrimonial. Il s\’applique dans une bande de 150 km de part et d\’autre de la frontière. Il énumère une série de mesures à mettre en œuvre dans différents domaines. Par exemple, parmi les mesures pénales, il est prévu la confiscation des produits des infractions, mais aussi la confiscation et la destruction des biens et matériels utilisés pour commettre les infractions. Il devra encore être mis en œuvre. La France aura-t-elle plus de poids pour le faire appliquer maintenant que Brésil a choisi le Gripen suédois, au détriment du Rafale français, pour renouveler sa chasse aérienne ?
Les forces de l\’ordre ont également à contrôler la frontière avec le Suriname, pays avec lequel la France a un accord de coopération transfrontalière en matière policière, mais le président français souhaite un accord semblable à celui signé avec le Brésil.
Le 6 décembre, peu avant l\’arrivée F. Hollande en Guyane, la Préfecture de région avait fait le point sur l\’orpaillage illégal. Elle a fait état d\’une aggravation de la situation. Après un net recul en 2008 – 2009, tous les indicateurs sont en hausse sensible. En 2009, il avait été relevé 535 chantiers actifs, il y en avait 771 en 2013. La société civile guyanaise s\’inquiète. Un collectif – Les Hurleurs de Guyane – composé d\’une quarantaine d\’associations a appelé à manifester le 13 décembre pour attirer l\’attention de F. Hollande sur la gravité de la situation décrite dans un intéressant document d\’une trentaine de pages. Ils y affirment que la production illégale de l\’or est entre 3 et 20 fois la production d\’or déclarée, comprise elle, entre 1 et 2 tonnes par an. Ce texte a été remis aux conseillers du président.
Les 13 et 14 décembre, dans plusieurs de ses discours, le président de la république a évoqué le problème de l\’orpaillage illégal : « Nous irons jusqu\’au bout de ce combat » a-t-il annoncé à sa descente d\’avion. Il a rappelé la mort de trois militaires et les graves blessures dont ont été victimes deux légionnaires dans les opérations de lutte contre l\’orpaillage illégal. Devant les élus, puis devant les acteurs économiques de Guyane, il a repris une proposition qui lui a été faite de créer un opérateur public qui, « dans le respect de l\’environnement, permettrait une exploitation de l\’or guyanais au bénéfice de la seule Guyane ».
Un contact avec les organisations amérindiennes de Guyane n\’était pas prévu au programme de la visite. Et, apparemment, celles-ci ne se sont pas manifestées. Cependant, à l\’occasion de ce voyage, Raymond Depardon, photographe et cinéaste; Michel Adam, anthropologue et professeur; ainsi que Jean-Patrick Razon, directeur de Survival International – France, ont signé une « Tribune » dans le quotidien « Le Monde » du 12 décembre : … « Si François Hollande aspire à faire de la France « la nation de l\’excellence environnementale », il est temps qu\’il reconnaisse les droits fondamentaux des peuples indigènes de la République, les meilleurs gardiens de la biodiversité, et qu\’il envisage sérieusement la signature de la convention 169 de l\’OIT ». En Guyane ce sont certainement les populations amérindiennes qui souffrent le plus de l\’orpaillage illégal comme l\’a bien montré le film « Dirty Paradise » de Daniel Schweizer*.
Enfin, le Brésil n\’ayant pas encore terminé les travaux d\’accès au pont sur l\’Oyapock et permettant une liaison routière avec la Guyane, l\’inauguration n\’a pas été programmée pour cette visite… La construction du pont avait été annoncée en février 2008. L\’inauguration était souhaitée pour 2010.
* Le film a été présenté en mars 2010 au Festival du Film et Forum sur les droits humains –FIFDH de Genève où il a reçu le Grand Prix de l\’État de Genève – voir AYA Info No 48
Bernard Comoli
PS – La première phrase de la première « brève » du dernier « AYA Info » (No 88) doit être complétée ainsi : … des rios Marauiá et Preto a eu lieu du 1er au 7 octobre dans le village de Komixiwe (prononcer Komichiwe).
NOS MEILLEURS VOEUX
L\’année 2013 s\’achève dans un climat tendu pour les peuples indigènes du Brésil. Une année pendant laquelle ils ont été l\’objet de nombreuses attaques. Une année pendant laquelle ils ont montré leur détermination à faire respecter leurs droits. Ce bulletin a tenté d\’en donner quelques reflets. Les membres d\’AYA tiennent à souhaiter, au peuple Yanomami à tous les peuples indigènes et à tous ses lecteurs et amis que 2014 soit une année de progrès pour un bien vivre et un monde sans mal !
Important : L\’activation des liens hypertextes renvoie aux sources utilisées pour la rédaction de ce bulletin. Elles sont souvent en portugais, sauf quand il s\’agit d\’anciens « AYA Info ».
PS : Ces brèves sont souvent reprises, détaillées et parfois illustrées, dans un blog du quotidien « La Tribune de Genève » à l\’adresse suivante : http://bcomoli.blog.tdg.ch
AYA – Appui aux indiens Yanomami d\’Amazonie
15 Chemin de la Vi-Longe – CH – 1213 Onex / Genève – CCP 17-55066-2

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