« Rechercher des alternatives pour un continent avec 60 millions de pauvres »

Pour une Europe sociale
 
Q: La phase d’organisation finale se termine… Que va-t-il se passer à
Londres ?
 
Eric Decarro (E.D.): Au niveau thématique, nous avons défini 6 axes:
 la guerre et les occupations militaires ; les efforts pour une Europe démocratique et sociale (droits sociaux) ; la justice sociale, qui inclut le travail et les droits syndicaux ;  les différentes facettes de la globalisation économique, telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce et les questions régionales dérivées, comme l’accord de libre commerce des Amériques (ALCA). Aussi le racisme, le fascisme, les fondamentalismes et la xénophobie, et le dernier, la problématique de l’environnement et de l’écologie. Les questions concernant le genre seront traitées de manière transversale.
 
Cinq sessions plénières (conférences) se tiendront avec une traduction garantie pour chaque axe principal. De plus, toutes les propositions de séminaires présentées par diverses organisations et réseaux – propositions qui approchaient au début de nos discussions le nombre de 700 – ont été regroupées par thèmes et réduites au final à quelque 170 pour des questions de logistiques, équipement de traduction en particulier. Les autres se tiendront dans le cadre d’ateliers de travail. Ces décisions découlent des limites que nous avons rencontrées à Londres, où nous disposons d’espaces plus réduits – en nombre de salles – qu’à Florence ou à Paris.
 
Q: Tous les axes thématiques auront-ils le même poids ?
 
E.D.: A partir de la demande des délégués participant aux séances de préparations et du nombre de propositions de séminaires reçues, deux axes seront prioritaires: celui de la justice sociale (avec 44 séminaires) et celui de la construction d’une Europe démocratique et sociale (avec environ 33 séminaires). Leur poids sera prépondérant. Pour les autres axes, il est prévu de 20 à 23 séminaires. Il est aussi prévu, dans le cadre du programme, une assemblée des femmes. Pour certains axes, une assemblée de campagne sera organisée (sur les droits des migrant-e-s par ex.).
 
 
Moins de moyens qu’à Paris
 
Q: Tu as mentionné des problèmes d’espace (et de budget). Qu’en est-il ?
 
E.D.: Les organisateurs britanniques nous ont expliqué que, pour des raisons politiques – une conséquence claire des mesures d’ajustement imposées depuis des années dans leur pays -, ils devaient compter sur un appui financier inférieur à celui des précédents forum. La municipalité de Londres finance le 40 % du budget total de 2,4 millions de francs (1,2 million de livres sterling). De leur côté, les grandes fédérations syndicales garantissent 20 % du budget. Il faut y ajouter deux éléments défavorables: les organisations syndicales – très impliquées dans la préparation du FSE – n’ont pas encore versé la contribution promise, d’où des problèmes de liquidités pour les organisateurs du FSE et la municipalité de Londres exige un contrôle serré de toute avance financière. Le reste de ce budget, un chiffre pas du tout négligeable, devra être couvert par les inscriptions des participant/es. Nous avons donc lancé un appel urgent: ceux et celles qui s’inscrivent et paient jusqu’au début octobre la taxe d’inscription de 60 francs recevront gratuitement une carte de transport public (d’une valeur de 38 francs) valable pour toute la durée du forum.
 
Q: Comment se déroulera pratiquement le FSE ?
 
E.D.: Le premier jour, le 14 octobre, la municipalité de Londres se charge de la réception. Vendredi et samedi se tiendront les assemblées plénières, les séminaires et les ateliers de travail. Le dimanche 17 octobre, l’assemblée des mouvements sociaux se réunira le matin – en même temps que quelques ateliers. L’après-midi, aura lieu une manifestation massive de clôture avec l’idée d’un « rallye » contre la guerre. Cette manifestation a suscité une âpre discussion. Un secteur la comprenait comme une nette convocation anti-guerre et anti-Bush, en tenant compte du fait que les élections présidentielles nord-américaines se dérouleront deux semaines plus tard. Un autre secteur soulignait qu’on ne pouvait pas limiter la convocation à cet élément ponctuel, vu que les thématiques du FSE sont beaucoup plus larges et dépassent de beaucoup la situation électorale aux Etats-Unis.
Finalement, un accord a pu se faire en faveur d’un appel à manifester en faveur d’une Europe des droits sociaux et contre la guerre, en soulignant la responsabilité de la Maison Blanche.
 
Q.: A combien peut-on évaluer le nombre de participant/es au Forum ?
 
E.D.: Les organisateurs attendent 20-30.000 délégué/es. En ce qui concerne la manifestation, qui s’annonce massive, on y attend au minimum 100.000 personnes.
 
 
Un débat politique nécessaire
 
Q: Quel seront le cadre politique fondamental, les points de tension, le « débat subliminal » de la rencontre londonienne ?
 
E.D.: Il existe des différences entre certains secteurs, qui ont une vision très « verticale », d’efficience, d’un certain contrôle, d’une recherche de résultats et les « horizontaux », qui défendent des idées du type démocratie de base et des formes d’action basées sur la désobéissance civile.
 
Ce mouvement horizontal comprend des acteurs et des sensibilités différentes. Certains d’entre eux estiment que le FSE est un espace « en dispute » qui « peut être reconstruit », alors que d’autres le considèrent comme une initiative « récupérée » par des forces politiques qu’ils considèrent comme réformistes traditionnels. Il y a une part de vérité dans les deux positions car le FSE contient d’importantes contradictions, facteur de vie. En tout cas, il existera, cette fois dans le cadre du forum, un espace autonome avec une série de débats de fonds et d’activités en tous genres.
 
Mais, au-delà de ce niveau de tensions, je perçois au sein du FSE des contradictions importantes sur des questions fondamentales qu’on ne saurait nier. Il est évident que, lors de cette prochaine session, les syndicats seront beaucoup plus présents qu’auparavant. Ce n’est pas un hasard si la dernière assemblée préparatoire de Bruxelles s’est déroulée dans les locaux de la Confédération des syndicats européens (CSE). Cela permet de prévoir des contradictions significatives. Par exemple, le mouvement syndical et la CSE se sont prononcés en faveur de la Constitution européenne. D’autre acteurs alter-mondalistes du continent européen, eux, s’y opposent, vu la philosophie de base de cette Constitution qui accepte, en résumé, la prédominance du marché et du capital financier, prédominance par essence contradictoire avec les droits sociaux. Or, les syndicats considèrent qu’au niveau des droits sociaux les modifications qu’ils ont réussi à faire introduire sont suffisantes et permettent de faire un pas en avant.
 
Tout cela m’amène à réfléchir sur le nécessaire – pour ne pas dire indispensable – approfondissement du concept même de démocratie, mis en question par certains intellectuels renommés comme José Saramago (dans un article publié dans un des derniers numéros du « Monde Diplomatique ») ou encore par le philosophe français Jacques Derrida dans ses réflexions sur la citoyenneté. S’interroger sur ce thème central implique également d’analyser pour le critiquer le modèle que les gouvernants nord-américains tentent d’imposer par les armes au monde entier. En dernière instance, il est essentiel de réfléchir sur l’incompatibilité entre le concept de démocratie et le modèle dominant de la guerre et du marché, qui garantit la prééminence du capital financier et qui attaque systématiquement tous les droits et les conquêtes sociales.
 
 
Q: Peut-on imaginer qu’à Londres des avancées se réalisent sur ces thèmes qui paraissent éternellement renvoyés à plus tard ?
 
E.D.: Je pense qu’il y aura un certain nombre de polémiques dans cette direction. Mon impression – telle qu’elle découle des discussions latérales durant le processus de préparation – est qu’il existe beaucoup d’illusions sur les institutions démocratiques actuelles et sur la possibilité, dans ce cadre, d’inverser les politiques néo-libérales actuelles. Mais jusqu’ici ce débat sur le fonds n’a pas été mené, en tous cas pas dans les assemblées européennes de préparation. Dans l’étape actuelle, nous avons investi nos forces dans les aspects organisationnels, dans la définition des axes de travail et dans la compression du nombre des séminaires (ce qui suppose évidemment des choix politiques), afin que ceux-ci puissent exister en fonction des possibilités logistiques.
 
Q: Y a-t-il eu – ou y aura-t-il à Londres – une réflexion directement liée au déroulement du prochain Forum social mondial à Porto Alegre, en janvier 2005 ?
 
E.D.: Il a été peu question de Porto Alegre 2005 durant la préparation. Certainement, une série de séminaires seront consacrés à l’avenir du mouvement alter-mondialiste, et à des thèmes fondamentaux comme, par exemple, la relation des mouvements sociaux avec les partis ou entre syndicats et partis, qui seront aussi à la base de la réflexion lors du prochain rendez-vous brésilien.
 
Q: Enfin, un point sensible qui n’a pas toujours été bien intégré aux forums: le rôle de l’assemblée des mouvements sociaux…
 
E.D.: Il existe un groupe de travail, qui s’est chargé d’analyser et de préparer le thème. En conclusion, il a ratifié la valeur des forums sociaux comme espace de discussion et, en même temps, de recherche d’alternatives et de convocation à des mobilisations.
 
Ce groupe considère que la première tâche a été bien remplie, alors qu’il existe une certaine faiblesse par rapport à la deuxième. Maintenant, le mouvement doit déterminer quelques dates-clés de mobilisation continentale pour dépasser cette limite. Par exemple: le 29 octobre à Rome, lors de la signature du Traité constitutionnel européen ; fin mars 2005, lors du sommet européen sur les questions économiques et sociales  (des contacts vont être engagés avec le mouvement syndical pour renforcer la mobilisation sur cet important objet); au milieu 2005, le G8 – qui se tiendra en Ecosse.
 
Il faut bien y réfléchir. Car cette idée subordonne la construction d’alternative aux revendications concrètes – la plupart du temps défensives – de ces mobilisations. Ceci tend à affaiblir les mobilisations elles-mêmes qui doivent être éclairées, par-delà les revendications immédiates, par des éléments portant sur le contenu de la société que nous voulons. Je pense donc que cette recherche d’alternatives va bien au-delà et occupe un espace propre de réflexion. Exercice qui doit intégrer une large gamme d’acteurs. Il est évident, par exemple, que tous les « sans » – les sans-emplois, les sans-toits, – les sans-papiers – ont fait pression pour obtenir une présence plus forte. Une demande tout à fait explicable si l’on pense qu’il existe aujourd’hui en Europe plusieurs dizaines de millions de chômeurs/euses et que près de 60 millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté et exigent de faire entendre leur propre vision d’une autre Europe différente…
 
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Sergio Ferrari
Trad. H.P. Renk
(Collaboration E-CHANGER)
 

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