En contradiction avec nos supposées valeurs d’égalité et de fraternité, nous, les pays matériellement enrichis, représentant 20% de l’humanité, consommons plus de 80% des ressources de la planète. Ce constat ne serait pas si grave si l’on pouvait espérer que les pays appauvris puissent un jour nous « rattraper » et atteindre le même niveau de vie matérielle que nous. Or, depuis un quart de siècle environ, l’humanité dans son ensemble a déjà dépassé les capacités de régénération de la planète. Ce que cette dernière (ré)génère en une année nous le dévorons en 9 mois. Les dérèglements climatiques sont la face la plus médiatisée de ce déséquilibre, mais pas la seule.
Ce dépassement des capacités de la planète est principalement de la responsabilité de la fraction enrichie des humains, c’est-à-dire à nous, habitants des pays du Nord de la planète, auxquels il faut ajouter la fraction enrichie des pays du Sud. L’on sait en effet qu’au moins trois planètes seraient d’ores et déjà nécessaires pour que l’ensemble des êtres humains puissent vivre comme des Européens de l’Ouest. Le « rattrapage » des pays du Sud aurait donc pour conséquence un cataclysme écologique. Si les riches peuvent l’être, c’est parce qu’ils dévorent la part des pauvres et celle des générations futures.
En l’état actuel de nos connaissances, une décroissance matérielle de la frange enrichie des êtres humains – l’immense majorité des habitants des pays du Nord – est donc une condition sine qua non d’un futur viable pour l’ensemble de l’humanité et des autres formes de vie sur la planète. Elle est nécessaire à l’épanouissement des sociétés du Sud et au maintien d’une planète saine et vivable pour les générations futures.
Les richesses que nous offre la nature doivent se répartir équitablement entre tous les êtres humains. Pour cela, nous devons diviser au moins par trois notre consommation matérielle et notre production de déchets. Cela permettra aux habitants du Sud d’avoir accès aux ressources auxquelles ils ont droit, tout en laissant la nature se régénérer pour les générations futures (et pour elle-même). Cela signifie une relocalisation et une refonte des économies, afin qu’elles s’inscrivent dans les limites d’un monde fini.
Pour les pays du Sud, cette décroissance matérielle des pays du Nord permettra, comme le signale Serge Latouche, de « rompre avec la dépendance économique et culturelle vis-à-vis du Nord. [De] renouer avec le fil d’une histoire interrompue par la colonisation, le développement et la mondialisation. [De] retrouver et [de] se réapproprier une identité culturelle propre. [De] réintroduire des produits et des techniques spécifiques oubliés ou abandonnés et les valeurs « antiéconomiques » liées à leur histoire ».
Chaque société redeviendrait alors en bonne partie autonome, mais pas autarcique : les idées peuvent voyager loin et en quantité sans dommage pour la nature et les humains, pas les marchandises et les gens (sauf très lentement). Chaque société (re)trouverait ainsi, avec l’aide spirituelle des autres, des formes de vie propres qui lui conviennent. Dans ce processus, les sociétés du Sud auraient beaucoup à nous apprendre. Ces nouveaux équilibres dynamiques se baseraient sur des niveaux de vie matériels significativement plus faibles que ce que connaissent les pays enrichis aujourd’hui. Nous disposerions de moins de choses, mais de plus de sens. « Plus de liens, moins de biens », dit l’un des slogans de la décroissance.
La plus grande « aide » que nous puissions offrir aux pays du Sud ne réside-t-elle pas dans la transformation de nos propres sociétés ? Notre principale responsabilité n’est-elle pas d’abord de nous changer nous-mêmes ? La coopération et l’aide au développement sont-elles autres choses que l’achat d’une bonne conscience si nous ne transformons pas nos sociétés en accord avec nos valeurs profondes et dans le respect des limites de la planète ?
Mathieu Glayre, ex- cooper-acteur d’E-CHANGER en Bolivie
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L’Appel à signer
Depuis un quart de siècle environ, l’humanité dans son ensemble exige de la planète plus qu’elle ne peut offrir, et la pollue plus qu’elle ne peut se régénérer. Chaque année, le système productiviste – malgré les différentes étiquettes vertes ou soutenables dont il s’affuble – dévore plus de ressources et déverse plus de pollution.
Actuellement, nous consommons en un peu moins de 8 mois les ressources que notre planète met une année à générer. Dit autrement, durant les quatre derniers mois de l’année environ, l’humanité vivra à crédit écologique, aux dépens de la planète et des générations futures.
Si nous prenons au sérieux les valeurs de justice et d’égalité et souhaitons voir la survie de l’humanité et d’une planète préservée, nous ne pouvons échapper à des changements radicaux et rapides de nos modes de penser, de produire, d’échanger et de vivre.
L’accaparement effréné des ressources naturelles qui génère ce dépassement est principalement le fait des 20 % les plus riches, surtout dans les sociétés dites « développées ». En effet, ceux-ci s’arrogent actuellement plus de 80 % des ressources de la planète et générent la même proportion de pollution. Il faudrait déjà plus de trois planètes pour que chaque terrien·ne puisse vivre comme un occidental moyen.
La Suisse occupe une place centrale dans ce triste bilan. Elle est une plaque tournante du commerce des matières premières, fortement producteur de CO2 et de pollution. Sa politique fiscale attire de plus en plus sur son sol les sièges de multinationales – en plus des géants d’origine indigène – dont les produits formatent nos modes de vie gaspilleurs. Son système bancaire gère les fortunes du monde entier, dont les détenteurs-trices, de par leur position, accaparent les profits générés par l’exploitation des humains et des ressources naturelles de la planète.
Nous, sociétés et habitant·e·s des pays dominants, portons une importante part de responsabilité, au travers de nos modes de vie consuméristes et par notre (in)capacité à nous mobiliser collectivement et à agir politiquement pour refuser la folie des systèmes productivistes destructeurs, à dénoncer l’illusion des solutions technologiques et nos difficultés à favoriser le partage, la solidarité et l’émancipation de l’humanité toute entière.
Nous appelons ainsi toute personne, association ou organisation se reconnaissant dans cet appel à le signer et à le faire connaître. Nous invitons chacune et chacun, d’ici à cette date symbolique du 22 août, jour noir du dépassement, à se rencontrer régulièrement afin de réfléchir ensemble à ce problème, à organiser des actions collectives et à imaginer des solutions répondant à l’urgence et à la gravité du défi. Nous proposons de faire de cette journée un moment fort, marqué par de multiples actions et évènements, afin que les profonds changements nécessaires puissent débuter et que nous puissions basculer vers un monde véritablement durable, juste et solidaire.
http://www.jourdudepassement.ch