Responsabilité sociale et environnementale de GDF Suez et risques majeurs associés à la construction du barrage hydroélectrique de Jirau sur le rio Madeira en Amazonie brésilienne.

GDF Suez a été nominée au ‘Public Eye Awards’ 2010 couronnant l’entreprise la plus irresponsable en matière d’environnement, pour son rôle majeur dans la construction d’un barrage controversé en Amazonie brésilienne.
Une coalition d’organisations de la société civile du Brésil, de France et des États-Unis a adressé la semaine dernière une lettre à M. Gérard Mestrallet, président de GDF Suez.
 
Objet: Responsabilité sociale et environnementale de GDF Suez et risques majeurs associés à la construction du barrage hydroélectrique de Jirau sur le rio Madeira en Amazonie brésilienne.
 
Monsieur le Président,
 
Nous vous écrivons pour vous faire part de notre vive inquiétude concernant la participation de GDF Suez à la planification et à la construction du barrage hydroélectrique de Jirau sur le rio Madeira en Amazonie brésilienne. En tant qu’actionnaire principal (50,1%) dans le consortium de construction Energia Sustentável do Brasil S.A. (ESBR), GDF Suez porte la responsabilité d’une série de violations du droit brésilien et du droit international, des garanties et des normes établies par l’industrie hydroélectrique et des règles mises en place par GDF Suez elle-même dans le domaine de la responsabilité des entreprises. Ces violations ont occasionné des dommages irréversibles dans une région d’une exceptionnelle diversité biologique et socio-culturelle.
 
GDF Suez et ses filiales ont fait preuve d’un manque de précautions « raisonnables » au cours des phases de planification et de construction du barrage de Jirau, ainsi que d’un flagrant mépris des droits humains et de la protection de l’environnement qui relèvent de la responsabilité juridique et morale de l’entreprise. Les exemples les plus significatifs peuvent se résumer comme suit :
 
i)                    Une préparation nettement insatisfaisante de l’étude d’impact environnemental des barrages de Jirau et de Santo Antônio sur le rio Madeira (par la filiale de GDF Suez, Leme Engenharia, sous contrat avec le géant brésilien de la construction Odebrecht et la compagnie énergétique nationale Furnas) qui, parmi d’autres manquements graves et en violation de la législation environnementale brésilienne, n’a tenu aucun compte de l’impact de ces méga-projets hydroélectriques sur les pays voisins, la Bolivie et le Pérou, qui partagent le bassin du Madeira.
 
ii)                  L’absence de consentement libre, préalable et informé des peuples indigènes comme le prévoient la Convention 169 de l’Organisation internationale du Travail, la Déclaration des droits des peuples indigènes des Nations-Unies et les législations nationales du Brésil, de Bolivie et du Pérou.
 
iii)                Le commencement des travaux de construction du barrage en dépit de preuves irrécusables de la présence de groupes d’Indiens isolés et extrêmement vulnérables; suite à la confirmation de la présence de ces peuples isolés près du site de Jirau, la construction s’est poursuivie au même rythme.
 
iv)                L’absence de toute étude préalable de l’impact causé par la construction du barrage sur les communautés riveraines établies en amont, le long des affluents du Madeira dans la région prévue pour le lac de retenue, et en aval du barrage de Jirau. Une étude d’impact appropriée aurait nécessairement dû tenir compte des risques associés à la perte d’accès aux ressources naturelles, dont les terres communautaires et les ressources en accès public (pêcheries, agriculture dans les plaines alluviales, produits d’extraction en milieu forestier), à l’interruption des transports fluviaux et à la relocalisation involontaire ou forcée. Les compensations ou indemnisations consécutives destinées aux familles directement affectées par la formation du lac d’alimentation du barrage ont été nettement insuffisantes et reflètent bien les études d’impact incomplètes et partiales menées sur les populations riveraines.
 
v)                  La décision unilatérale prise par ESBR de déplacer le barrage sur un nouveau site du rio Madeira alors que le processus officiel d’appel d’offres avait été mené à son terme pour le site originel de Jirau, sans que soient menées de nouvelles études d’impact environnemental comme l’exige la législation brésilienne sur l’environnement.
 
vi)                La déforestation illégale menée directement par GDF Suez et ses partenaires du consortium ESBR, ayant d’ailleurs donné lieu à des amendes infligées par l’agence fédérale de l’environnement (IBAMA) et restées impayées à ce jour.
 
vii)              L’existence de conditions de travail inhumaines parmi les sous-traitants travaillant pour le consortium ESBR.
 
Ces questions constituent de graves violations de la législation brésilienne et internationale concernant la protection de l’environnement et des droits humains. À cet égard, la filiale de GDF Suez dans le consortium ESBR (Suez Energy South America Participações, Ltda) est déjà co-accusée dans des affaires civiles intentées au Brésil par le Ministère public de l’État, le Ministère public fédéral (Ministério Público) et des organisations non gouvernementales.
 
Par ailleurs, l’implication de GDF Suez dans la construction du barrage de Jirau constitue une grave violation des normes en vigueur dans l’industrie que la compagnie affirme observer, y compris les directives de 2004 sur la durabilité émises par l’Association internationale de l’hydroélectricité (IHA) dont elle est un membre influent. À l’évidence, il y a également eu violation des engagements pris par la compagnie auprès du Pacte mondial des Nations unies qui stipule de ne pas collaborer avec les entreprises commerciales liées à des violations des droits humains, ainsi qu’un non respect des directives de l’OCDE établies à l’attention des compagnies multinationales.
 
En définitive, la participation de GDF Suez dans la construction du barrage hydroélectrique de Jirau contredit et viole les propres valeurs et la politique interne de la compagnie, de même qu’elle révèle les sérieuses contradictions entre le discours officiel sur le développement d’infrastructures « durables » et la responsabilité sociale. La pratique actuelle de la compagnie témoigne d’un grave manque de respect envers les populations et les écosystèmes affectés par les projets dans lesquels elle est directement impliquée. Il va de soi que les pratiques irrégulières et illégales d’agences gouvernementales, telles que celles liées à l’octroi de la licence environnementale pour le barrage de Jirau, n’exemptent pas GDF Suez de ses responsabilités légales et morales vis-à-vis des dégâts causés et des risques liés au projet. Avant de prendre des décisions sur sa participation lors des différentes étapes du projet, GDF Suez et ses filiales auraient dû s’assurer que toutes les normes applicables avaient été respectées, en particulier dans le domaine de la protection de l’environnement et des droits humains. À cet égard, le rôle de GDF Suez dans la construction du barrage hydroélectrique de Jirau révèle non seulement sa complicité mais aussi son rôle moteur dans les violations mentionnées ci-dessus.
 
Par conséquent, la compagnie doit être tenue pour responsable des risques et des impacts sociaux et environnementaux, aussi bien directs qu’indirects. Compte-tenu des preuves accablantes du manque de précautions raisonnables de GDF Suez dans les phases de planification et de construction du projet hydroélectrique de Jirau – associé à de graves violations des droits humains et de la législation sur l’environnement, ainsi qu’aux énormes risques de dégâts collatéraux aussi bien sociaux qu’environnementaux – les exigences suivantes requièrent une action urgente et immédiate de la part de la compagnie.
 
1. GDF Suez devrait suspendre immédiatement toutes ses activités liées à la construction du barrage de Jirau sur le rio Madeira.
 
2. Des mesures d’urgence devraient immédiatement être prises par GDF Suez pour réduire les graves risques et impacts socio-environnementaux qui résultent déjà du barrage de Jirau, dont :
 
a) la restauration de l’intégrité territoriale, physique et culturelle des groupes d’indiens isolés menacés par la construction du barrage, en coordination avec les organisations de défense des droits des peuples indigènes;
 
b) la mise en conformité avec les normes internationales concernant le consentement libre, préalable et informé des peuples indigènes (Convention 169 de l’OIT);
 
c) l’élaboration de nouvelles études d’impact social et environnemental concernant : i) les impacts du barrage de Jirau sur les territoires bolivien et péruvien situés dans le bassin du Madeira (y compris les incertitudes concernant la zone qui devrait être inondée par le barrage et l’impact sur les pêcheries), en consultation avec les gouvernements des deux pays; et ii) le transfert du chantier de construction du barrage, y compris les impacts sur les zones qui bénéficient d’une protection légale;
 
d) la mise en oeuvre d’analyses indépendantes des risques et des impacts causés par le barrage de Jirau en termes d’appauvrissement des populations riveraines, dont la perte de l’accès à la propriété collective et aux ressources publiques (les pêcheries, l’agriculture dans les plaines alluviales, les produits d’extraction en milieu forestier) et l’interruption des transports fluviaux. Cette analyse devrait prendre en compte les populations vivant dans la zone d’inondation prévue, à partir du lac de retenue sur le rio Madeira et de ses affluents en amont et à partir du barrage en aval. Les négociations sur les compensations et/ou indemnisations doivent être conduites dans la transparence et prendre en compte l’analyse des risques et des impacts mentionnée plus haut. Toutes les mesures possibles devraient être prises pour assurer des conditions analogues d’accès aux ressources naturelles et à la production de subsistance ainsi qu’à la création d’activités rémunérées pour les populations affectées;
 
e) l’acquittement de toutes les amendes infligées par les agences environnementales pour déforestation illégale;
 
f) la garantie que tous les ouvriers, y compris ceux des entreprises ayant travaillé en sous-traitance pour le consortium d’ESBR et qui ont souffert de conditions de travail inhumaines, recevront les indemnisations auxquelles ils ont droit.
 
3. La mise en application de mesures d’urgence devrait être suivie et contrôlée par un comité indépendant composé de représentants du Ministère public fédéral (MPF) et du Ministère public de l’État (MPE) ainsi que par des spécialistes reconnus de la communauté scientifique et de la société civile brésilienne, bolivienne et péruvienne. Tout projet de mise en application de mesures d’urgence devrait mentionner des objectifs et des échéances clairs ainsi que les responsabilités institutionnelles.
 
4. La construction du barrage de Jirau ne devrait reprendre que lorsque GDF Suez pourra formellement démontrer que les graves risques et impacts sociaux et environnementaux liés à ce méga projet auront été convenablement traités grâce aux mesures d’urgence mentionnées ci-dessus et à toute autre mesure adéquate. Si GDF Suez n’est pas capable ou n’est pas disposée à remplir ces conditions, la compagnie et ses filiales devraient se retirer immédiatement et définitivement du consortium ESBR, et s’abstenir également de toute activité liée à la construction du barrage de Jirau.
 
5. Enfin, GDF Suez devrait manifester clairement son intention de ne pas procéder à des violations similaires à celles dont elle a été responsable à Jirau. Avant de s’engager dans un processus d’appel d’offres pour d’autres projets hydroélectriques, la compagnie se doit d’améliorer radicalement la conception et la mise en application de sa politique dans le domaine des responsabilités des entreprises, en prenant un soin particulier à passer au crible tout projet hydroélectrique en termes de risques sociaux et écologiques et de conformité aux droits humains et aux législations sur l’environnement.
 
Etant donné le rôle majeur joué par le gouvernement français en tant qu’actionnaire principal de GDF Suez (36 %), nous adressons copie de ce courrier aux autorités françaises concernées.
 
En vous remerciant de l’attention que vous porterez à cette lettre et dans l’attente de mesures appropriées de votre part, veuillez agréer, Monsieur le Président,  ‘expression de nos sentiments les meilleurs.
 
Amazon Watch
Christian Poirier : christian@amazonwatch.org
 
Amigos da Terra – Amazônia Brasileira
Roland Widmer : roland.widmer@amazonia.org.br
 
Associação de Defesa Etnoambiental Kanindé
Telma Monteiro : kaninde@kaninde.org.br
 
Survival International
Jean Patrick Razon : jp@survivalfrance.org
Tél. : 01 42 41 47 62
 
BIC – Bank Information Center
CIMI-RO – Conselho Indigenista Missionário
COIAB – Coordenação das Organizações Indígenas da Amazônia Brasileira
CPT-RO – Comissão Pastoral da Terra / Rondônia
DAR – Derecho, Ambiente y Recursos Naturales
Greenpeace
GTA – Grupo de Trabalho Amazônico
IMV- Instituto Madeira Vivo
International Rivers Network
MAB- Movimento dos Atingidos por Barragens
Sherpa
France Libertés – Fondation Danielle Mitterrand
Les Amis de la Terre
 

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