Rio+20, sans illusions malgré la menace

 
En 1992, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU), Rio de Janeiro, au Brésil, accueillait le Sommet de la Terre. A l’époque, l’événement avait permis à plus d’une centaine de chefs d’Etat de débattre pendant douze jours des grands problèmes environnementaux de la planète. Le sommet s’était d’ailleurs soldé par la signature de deux traités sur le climat et la biodiversité, accompagnés de déclarations sur la nécessité de respecter la planète et de construire un monde vert et plus équitable. Confiants et pleins d’espoir, les dirigeants internationaux s’étaient alors fixé rendez-vous vingt ans plus tard pour constater les progrès.
 
Ce nouveau sommet de la Terre, baptisé «Rio+20» se tiendra du 20 au 22 juin dans la capitale carioca. Avec, notamment, deux thèmes phares au programme: l’économie verte et une nouvelle gouvernance internationale. Sauf qu’avant même de débuter, Rio+20 apparaît déjà comme un échec programmé. La faute en particulier à la crise économique mondiale et aux conflits armés, qui ont relégué au second plan les préoccupations écologiques des principaux dirigeants internationaux. Et ce alors même que la situation environnementale de la planète n’a jamais été aussi préoccupante.
 
Constats alarmants
 
Pour ceux qui en doutent (encore), le rapport sur l’avenir de l’environnement mondial publié le 6 juin dernier par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) ramène pourtant à une réalité franchement inquiétante: «Le monde ne s’oriente pas vers une voie durable. (…) Et à moins d’un changement immédiat de cap, certains seuils critiques seront bientôt atteints et pourraient engendrer des changements brusques et irréversibles sur la planète.» Cette perspective pousse d’ailleurs les auteurs à «rappeler aux dirigeants mondiaux et aux nations réunies à la conférence de Rio+20 que la transition définitive vers une économie verte émettant peu de CO2 et utilisant efficacement les ressources doit absolument être amorcée en urgence».
 
L’appel sera-t-il entendu? Les observateurs en doutent. Notamment parce que si cent trente chefs d’Etat sont attendus à ce Sommet, le président étasunien Barack Obama, la chancelière allemande Angela Merkel et le premier ministre britannique David Cameron manqueront à l’appel. François Hollande, le président français, lui, y participera. Mais sans illusions. «Il y a le risque de paroles prononcées et qui ne se retrouveront pas dans des actes, un risque de division entre pays développés, pays émergents et pays pauvres», a-t-il admis lors de la réunion du Club France Rio+20, le 8 juin dernier.
Le «risque de l’échec», donc, notamment sur le thème polémique de «l’économie verte», qui sera au centre de toutes les négociations à Rio. Problème: le concept se heurte à plusieurs définitions bien différentes. Les rapports se sont multipliés sur le sujet (PNUE, OCDE, Banque mondiale, etc.), mais «il y a autant de définitions que d’institutions», déplore Maxime Combes, membre d’Attac.
 
Green New Deal
 
Pour résumer, d’un côté – celui de la plupart des Etats et des entreprises – il existe des propositions visant à prôner un «Nouveau deal vert» (ou Green New Deal, en référence au New Deal des années 1930). Autrement dit, augmenter la richesse en réduisant les risques environnementaux et en adoptant une gestion «efficace» des ressources naturelles, moyennant l’orientation d’énormes flux de capitaux vers des secteurs peu émetteurs de pollution.Cela constituerait alors autant de niches de croissance, mais impliquerait surtout de continuer avec le même modèle productif destructeur de l’environnement.
 
De l’autre est défendue la thèse que l’économie verte devrait être une dimension du développement durable, induisant un changement du système de production et de consommation. Exemple: alors que certains suggèrent de continuer les monocultures en utilisant moins de produits toxiques, d’autres prônent le développement de l’agroécologie. Même chose pour le modèle économique: face à ces grands flux capitalistiques qui rythment l’économie mondiale, les altermondialistes souhaitent le développement d’une économie solidaire et juste, visant à réduire les distances entre producteurs et consommateurs. «Nous voulons donc profiter de cette crise systémique pour changer profondément les leviers de l’économie, et non pas seulement nous contenter du ‘marketing vert’ proposé par les acteurs économiques dominants», résume ainsi Fatima Melo, membre du comité organisateur du contre-sommet qui se tient à Rio (lire ci-dessous).

Gouvernance verte
 
L’autre thème important qui sera évoqué au Rio+20 est «la gouvernance mondiale de l’environnement». L’idée, soutenue par l’Europe et l’Afrique notamment, est de transformer l’actuel PNUE en Organisation mondiale de l’environnement. Cette institution, créée en 1972, a pour mission d’évaluer l’état de l’environnement et de développer des outils nationaux et internationaux pour le protéger. Un rôle important, mais insuffisant quand il est question d’agir. D’où le souhait de créer une entité, à l’image de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), aux pouvoirs largement renforcés. Les discussions seront sans doute âpres car des nations comme les Etats-Unis, le Canada, la Russie ou l’Inde ne veulent même pas en entendre parler.
 
Face à toutes ces réticences, Rio+20 n’offre donc guère de perspectives réjouissantes. C’est le sentiment de Michael Löwy, sociologue et philosophe franco-brésilien. «Il ne faut rien attendre ou presque de cette Conférence, explique t-il. Car il est déjà acté que les discussions ne déboucheront sur aucune obligation concrète.» Comme pour les précédentes conférences internationales sur les changements climatiques, le chercheur s’attend donc à «de vagues promesses, des discours pavés de bonnes intentions et, surtout, un juteux business vert». Pas de quoi mettre un frein aux inquiétudes de Ban-Ki-Moon, le secrétaire des Nations Unies qui déclarait à propos de l’environnement, en septembre 2009: «Nous avons le pied sur l’accélérateur et nous fonçons dans le vide.» 
 
Jean-Claude Gerez, Le Courrier
19-06-2012

__________________________________________________________________________________
Contre le sommet de la régression
 
Des dizaines de forums, de débats, de tables rondes, plus de trente mille participants venus de tous les horizons… le Sommet des peuples a démarré vendredi 15 juin à l’Aterro de Flamengo, à Rio de Janeiro, avec un double objectif:
«Demander aux gouvernements de prendre des engagements fermes et efficaces à la hauteur de la crise majeure qui touche la planète; réunir, vingt ans après Eco 92, les mouvements sociaux et reconstruire de nouvelles convergences pour inaugurer un cycle de luttes globales pour la nature, pour les biens communs et pour les droits.» Il se bouclera le 23 juin, après la publication d’une déclaration alternative à celle de l’ONU.
 
Dès les premiers jours la «Cupula dos Povos» a donc constitué une vibrante caisse de résonance pour les victimes d’une crise financière, économique, environnementale, climatique, alimentaire et énergétique sans précédent. Déforestation de l’Amazonie, extraction minière, avancée des monocultures, détérioration des océans… Les fléaux sont hélas nombreux mais ne mobilisent guère les politiques, qui brillent par leur absence à Rio, à l’image de Barack Obama, David Cameron, Vladimir Poutine, ou encore Angela Merkel.
 
Une «désertion» qui semble d’ailleurs tétaniser les négociateurs. La preuve? Non seulement, il n’est plus vraiment question aujourd’hui d’évoquer les avancées possibles de Rio+20, mais les observateurs sont préoccupés par de possibles retours en arrière sur les acquis concernant la protection de l’environnement. D’où l’importance de la mobilisation de la société civile lors du contre-sommet, souligne Fatima Melo, l’une des responsables de la «Cupula dos Povos».
 
L’ONU a souhaité associer une partie de la société civile à sa Conférence sur l’environnement (Rio+20). Pourquoi, dès lors, avoir organisé un contre-sommet?
 
Fatima Melo: Il y a eu effectivement un mécanisme d’association de la société civile aux négociations officielles. Mais la grande différence, c’est qu’au Sommet des peuples les protagonistes sont les acteurs des mouvements sociaux, des groupes indigènes, des populations traditionnelles, des femmes, des jeunes, paysans, etc. Tandis qu’au sommet officiel il s’agit plutôt d’écouter la société civile pour tenter d’arrondir les angles sur des propositions émanant d’Etats ou d’entreprises. D’ailleurs, il est peu probable qu’il y ait beaucoup de contacts entre les représentants de ces deux sommets, car ce sont deux mondes opposés avec des visions très différentes. Alors qu’ici nous parlons de restauration des biens communs, de maintien et d’amplification des droits acquis, le sommet officiel, lui, parle plutôt de privatisation de la nature et des biens communs, ainsi que de renégociation de droits conquis.Le cœur des critiques des participants au contre-sommet porte sur le concept d’économie verte, dans sa conception mercantile.
L’économie verte est désormais un concept clé pour les transnationales. Ce que l’on voit apparaître lors des négociations de l’ONU, c’est que les entreprises veulent un contrôle grandissant de la gestion de l’eau, de l’air, de la terre. Même le processus de négociations leur est subordonné.
Nous considérons que le monde ne sortira pas de la profonde crise dans laquelle il se trouve à travers la transformation de la planète en une nouvelle source de profit pour les marchés financiers. Nous pensons que c’est justement le contraire qui doit être fait. Il faut empêcher la mainmise de quelques-uns sur les biens communs et les gérer collectivement avec un renforcement des droits humains. Nous devons préparer la transition vers une économie à bas niveau de carbone. Mais nous estimons que cette transition doit se faire vers une économie qui redistribue radicalement la richesse dans le monde et le pouvoir, garantisse l’emploi et redéfinisse l’idée du bien commun en le remettant aux mains des gens qui prennent soin de la nature.
 
Qu’attendez-vous, en termes de résultats, du sommet officiel?
 
Rien! Mais pire encore qu’aucun résultat, nous craignons que Rio+20 génère des décisions qui soient autant de retours en arrière sur les droits déjà acquis. Notamment les principes de Rio adoptés lors de la Conférence de 1992 et raffermis durant vingt années de négociations aux Nations Unies. Je pense notamment au principe de responsabilité commune des biens de l’environnement, ou encore du principe de précaution.
 

Jean-Claude Gerez, Le Courrier
 

Laisser un commentaire