Sans-toits contre sans-toits sous le même toit

Mi-septembre 2006, de nombreuses familles de sans-toits du Subúrbio de Salvador ont décidé d’occuper le terrain de la plage du requin situé à Paripe entravant le projet développé depuis plus de trois ans par le mouvement populaire : UNIÃO por Moradia Popular Bahia. Quelques leaders considérés réfractaires à la politique du PT et aux mouvements qui lui sont proches se sont arrangés pour envahir la zone le jour précédent la signature des contrats de 200 familles faisant partie de l’association de Gameleira e adjacências (situé à Paripe), partenaire de l’UNIÃO, et ayant obtenu le droit de vivre sur cette zone grâce à un programme fédéral nommé « Crédit Solidaire ».
 
La signature de ces contrats représentait l’aboutissement de l’accord passé entre les familles et l’Etat qui leur octroie l’argent nécessaire à la construction de leur futur quartier par un prêt remboursable sur 20 ans. (cf. bulletin 1 de Pourquoi pas ToiT ? « sans-toits contre sans-toits »)
 
Le 06 février 2007, de nombreuses familles partenaires de l’UNIÃO, ainsi que ses leaders se sont retrouvés devant la préfecture de Salvador afin de débloquer leur situation. Le préfet ayant été absent, les membres du secrétariat de l’habitation les ont reçu et ont insisté pour qu’une solution soit trouvée dans la négociation avec toutes les parties. Devant l’impasse, les autorités politiques se sont en effet refusées à user la force pour faire valoir la réintégration de propriété obtenue par l’UNIÃO auprès des tribunaux. Dès lors, une magistrate de justice du Ministère Public, Mme Sylvana Almeida (Promotora de justiça), a finalement proposé une audience publique agendée le 08 février afin que les deux groupes de sans-toits puissent trouver un accord commun.
 
Au bout de sept d’heures de négociations et de palabres, la seule proposition concrète issue de cette audience a été de recenser les familles occupant le terrain. Auparavant, au milieu des débats, les deux parties étaient à nouveau d’accord pour que 36 familles de l’occupation trouvent refuge dans le projet mené par l’UNIÃO, tandis que les autres étaient supposés rejoindre un autre campement de sans-toits, proposition alors écrite dans le procès-verbal.
La magistrate a ensuite autorisé Valdisia Santana, leader de l’occupation, à imposer aux membres de l’UNIÃO de sortir de la salle d’audience pour pouvoir délibérer dans une ambiance proche d’un certain prosélytisme. Au retour de ces derniers, la proposition était tombée à l’eau, tandis que l’ordinateur utilisé pour enregistré le PV avait tout simplement rendu l’âme. L’audience s’est terminée dans la confusion, la frustration et la colère pour les membres de l’UNIÃO. Le lendemain, le SEDUR (Secrétariat de Développement Urbain) s’est toutefois rendu sur place afin d’accomplir le dit recensement des personnes. Les familles d’occupants ne se sont pas prêtées à l’exercice, obligeant les fonctionnaires à ne compter que les baraques présentes sur le terrain ; le processus de médiation s’est évidemment ralenti au vu des inerties rencontrées ci et là.
 
L’UNIÃO ressentait, quant à elle, de plus en plus de pression car si la construction du quartier ne débutait pas avant fin avril, les familles bénéficiaires auraient perdu le financement du projet qui était bloqué à la Caixa Econômica Federal. Devant la lenteur et les nombreuses difficultés rencontrées beaucoup de membres de l’UNIÀO ont fini par perdre toute confiance et l’envie de continuer à se battre.
 
Malgré cette démobilisation importante et toujours devant l’impasse, l’UNIÃO soutenue par des membres du MSTS a entamé, le 21 mars 2007, une occupation à durée indéterminée devant la préfecture de Salvador afin de responsabiliser le maire, João Henrique, et récupérer leur terrain. Toutefois, tant que le Ministère Public n’avait pas clos son intervention, la préfecture se refusait de rentrer en matière. Au bout de deux jours de campement devant la mairie, 60 militants ont bruyamment cheminé jusqu’au Ministère Public réclamant une solution immédiate. Après avoir écouté une délégation, un conseiller supérieur de cette institution a officiellement déclaré que le Ministère Public se retirait de l’affaire de la plage de Tubarão. La balle était donc à nouveau dans le camp du maire.
 
Après 3 jours intenses de mobilisation du mouvement devant la préfecture, João Henrique a convoqué le secrétariat de l’habitation de la mairie, la CONDER (Compagnie de développement Urbain de l’Etat de Bahia), la SEDUR (Secrétariat de Développement Urbain), la défense publique du Ministère Public, l’UNIÃO, l’association de Gameleira e adjacência et l’association de défense des habitants de Tubarão. Ces derniers se sont réunis malgré l’absence volontaire des leaders de l’occupation pour définir une issue définitive à cette impasse.
L’association de défense des habitants de Tubarão, représentée par Valdisia, n’a pas jugée nécessaire de se présenter, trop affairée à recueillir le plus de signatures possibles pour que Sylvana Almeida, magistrate du Ministère Public et alliée politique de circonstance, retrouve un droit de cité dans cette affaire. Cette réunion organisée par João Henrique s’est soldée par la même conclusion : 36 unités devaient être attribuées aux occupants du terrain.
 
Malheureusement pour l’UNIÃO, à la suite de la pétition orchestrée par l’occupation, Sylvana Almeida a été à nouveau en charge de cette affaire, synonyme de retour à la case départ. Puis lors du conseil de la cité de Salvador, cette dernière a ouvertement remis en cause la bonne foi de l’UNIÃO, argumentant qu’il est difficile de négocier avec. Dans ce cadre institutionnel, une ultime proposition est ressortie : 50 logements sur les 236 seraient octroyées à l’Association de défense des habitants de Tubarão. Sans alternative, pressée par le temps, l’UNIÃO a fini par céder au détriment de ses propres bénéficiaires.
 
Au final le projet est donc partagé entre 50 familles des occupants de la plage du Tubarão, 20 familles du MSTS, qui ont été d’un grand soutien lors des manifestations, et 166 familles de l’association de Gameleira. Malheureusement pour l’UNIÃO, cela signifie que 44 familles ont été retirées du projet avec une certaine amertume.
 
Dès lors, les sans-toits de l’occupation ont tenu promesse et ont commencé à quitter le terrain alors qu’il ne restait que deux semaines pour commencer les travaux. Finalement, le 25 avril, le travail de terrassement de la zone a pu débuter.
 
Aujourd’hui, les familles ressentent un immense soulagement et retrouvent enfin le sourire. Au fur et à mesure que l’organisation du mutirão (construction grâce à l’aide mutuelle des futurs habitants) se met en place, un nouveau défi se dessine : celui de rallier deux communautés rivales qui vont construire et cohabiter dans ce nouveau quartier au nom sibyllin : Vila Solidária Mar Azul. Premier pas dans ce sens, un voyage à Goianas va avoir lieu afin, d’une part, de tisser de nouveaux liens entre toutes les parties prenantes du projet et, d’autre part, de partager l’expérience des mutirões de l’UNIÃO por Moradia Popular Goiás.
 

 
Claire Rinaldi et Olivier Grobet
Notre rubrique : http://www.humanitaire.ws/rubriques/pourquoipastoit.php 

Laisser un commentaire