Troisième et dernière partie de l’interview de Sérgio Bulcão, coordinateur de projet de l’UNIÃO de Moradia popular Bahia, il expose l’implication politique de ce mouvement social, relève les futurs défis et revient sur l’une de leur préoccupation majeure : le conflit opposant des sans-toit à d’autres sans-toit sur le terrain de la plage du requin à Paripe.
Quelle est l’implication politique de l’UNIÃO ?
Aux yeux de celui qui vient de l’extérieur, la conjoncture politique avec la réélection de Lula, celle de Wagner (N.d.l.r. : candidat PT élu gouverneur de la Bahia) et plus globalement la prise du pouvoir du PT à Bahia est en train de générer l’un des meilleurs contextes politiques au monde. A vrai dire, ce n’est pas le cas. Cela facilite les progrès des mouvements sociaux. Mais de l’autre côté, la population souffre d’autres problèmes d’ordre culturel et social. D’un côté un processus est en route et de l’autre il réside une urgence de trouver des solutions à court terme. De plus, les gens ne se font plus d’illusions quant à l’éventualité que le gouvernement obtienne des changements radicaux et rapides. De ce fait, il est probable que les conflits sociaux s’intensifient. Avec ce gouvernement de gauche, il existe une forte pression pour faire en sorte que les droits qui ont été niés pendant des décennies soient enfin octroyés au peuple. L’UNIÃO se prépare à affronter ces conflits.
Beaucoup d’entre nous sont affiliés au PT (N.d.l.r. : Parti Travailliste). Notre mouvement est d’ailleurs identifié comme faisant partie du PT. Malheureusement, il y arrivera un moment où la politique ne saura plus quoi répondre aux pauvres gens… Ce qui est sûr, c’est que nous continuerons à les accompagner dans leurs revendications. Nous voulons rester avec le peuple.
« Notre lutte doit être accompagnée à l’intérieur
du gouvernement, en obtenant
des agendas communs par exemple »
Notre implication dans la politique se doit être un élément facilitateur du processus. Nous avons vécu une expérience très importante dernièrement avec Evaniza, faisant partie de l’UNMP et vivant à São Paolo. En faisant partie du ministère de la ville, elle a pu interagir avec force au niveau des autorités politiques. Elle a su donc développer un autre regard sur la politique. Cette expérience a profité à toute l’UNIÃO, mais aussi à tous les autres mouvements sociaux, notamment au niveau de la participation au conseil et de la construction du fond national pour l’habitat.
L’opportunité que Marli (N.d.l.r : Une des coordinatrices de l’UMP-BA) a de rentrer en politique nous permet d’envisager un travail à deux échelles. Tandis que les uns oeuvrent sur le terrain, les autres peuvent donner un appui politique, au sein du gouvernement, afin d’assurer les avancées sociales du pays. Notre lutte doit être accompagnée à l’intérieur du gouvernement, en obtenant des agendas communs par exemple. Il nous faut par contre ne pas nous confondre avec le gouvernement car nous sommes une entité distincte. Seulement nous voyons d’un bon œil l’implication politique de nos leaders. Si le gouvernement n’avance pas dans le sens d’améliorer les conditions de vie de chacun et qu’il ne renforce pas les droits des citoyens, nous nous retirerons du gouvernement afin de remplir notre mission. Les gens pourront se rendre compte alors quel est réellement notre mandat. Avec le gouvernement actuel, il est possible de dialoguer ; des espaces politiques sont ouverts à recevoir nos revendications. Nous en profitons. Si ce n’était pas le cas, nous envisagerions plus d’actions d’occupation, de manifestation et de pression politique.
Quelle différence y a-t-il entre les diverses entités régionales de l’UNIÃO, et tout particulièrement avec celle de São Paulo ?
Ce sont des différences historiques. D’un point de vue de l’UNIÃO Nationale (N.d.l.r : basée à São Paulo), chaque entité régionale développe sa propre lutte. L’UNMP est constituée de personnes n’ayant pas la même culture tant le Brésil est grand, ce qui suppose des différences fondamentales.
En ce qui concerne l’UMP-São Paulo, elle s’est créée dans les années 80 alors qu’il y avait énormément d’occupations dans la ville. Elle a donc développé une expérience de ses occupations, puis des projets d’auto-gestion.
La construction de l’UNIÃO Bahia relève d’une toute autre expérience. Nous avons beaucoup focalisé notre action sur les revendications de la périphérie. Nous avons activement participé aussi aux conférences de la cité. Dans ce cadre, la ville décide de ce que sera son plan directeur, de ses lignes de conduite en terme d’urbanisme en intégrant une participation populaire.
Aujourd’hui, l’UNIÃO débat avec de nombreux mouvements sociaux de lutte pour des logements dignes. Ainsi nous participons – nous collaborons avec les diverses occupations de la ville dont le but n’est pas de renforcer le chaos à Salvador, mais de faire en sorte que les gens gagnent leur lutte et obtiennent leurs droits dans leur quotidien en orientant les choix politiques du gouvernement.
Quels sont les défis actuels et futurs de l’UMP-BA ?
Nous avons actuellement quelques problèmes à résoudre au niveau de nos projets. Nous travaillons activement aujourd’hui sur deux projets qui sont prêts à débuter leur construction grâce à l’auto-gestion. L’un de ses projets est situé sur un terrain nommé Praia do Tubaráo qui a été occupé par un autre mouvement le jour de la signature du contrat avec les futurs habitants (N.d.l.r : chaque habitant signe un contrat avec la caisse économique de Salvador afin d’obtenir un crédit solidaire leur permettant de construire leur quartier et respectivement leur maison en remboursant une partie du crédit sur 20 ans. Il signe leur contrat le jour où ils commencent à investir le terrain, ceci après avoir affronté pendant de longs mois la bureaucratie brésilienne octroyant ce crédit). Nous essayons de résoudre ce problème de manière pacifique. Nous parlons beaucoup avec les différents protagonistes de ce conflit et avec les politiques. La population qui nous empêche de travailler en occupant ce terrain doit comprendre que cette zone est destinée à des personnes de bas revenu. (Voir encadré p. 24-25)
Le deuxième projet à Estrada Velha doit accélérer le processus administratif dans le but de signer les contrats à la fin février. Il ne nous manque plus que quelques détails à résoudre.
Cette année 2007 va être très dense. Elle sera faite de beaucoup d’organisation des communautés et de travail à l’œuvre. Lors de la planification 2007, nous allons aussi discuter quelles seront les activités qui vont être développées (cours de capacitation, action de mobilisation populaire…).
« L’UNIÃO a la responsabilité de faire valoir la voix des différents mouvements de l’état de Bahia
au niveau municipal, étatique et fédéral »
Nous continuerons à être impliqué dans la conférence de la cité et dans les diverses municipalités avec lesquelles nous collaborons. L’UNIÃO va aussi participer au processus politique au niveau étatique qui se déroulera à Brasilia au mois d’octobre. De mai à octobre, nous serons aussi très pris par ces conférences. Le 30 janvier, nous avons aussi participé au conseil municipal de l’habitat à Salvador. Certains d’entre-nous (élus) ont représenté les mouvements de lutte pour l’habitat populaire dans le cadre de ces négociations avec la mairie. Au niveau étatique, cela va se faire aussi. Le gouvernement va regarder comment les mouvements populaires pourront participer au processus politique. L’UNIÃO a la responsabilité de faire valoir la voix des différents mouvements de l’état de Bahia au niveau municipal, étatique et fédéral.
Un autre défi réside dans le fait qu’une fois que les politiques aient acceptés le fond pour l’habitat populaire, il nous faut faire en sorte qu’il ait les moyens financiers adéquats.
Donc en 2007, les défis de l’UNIÃO seront de construire des maisons, de discuter et revoir des lois, et enfin de construire une UNIÃO (union) forte.
A moyen terme, nous ne souhaitons pas promettre de grandes choses à la population. Nous préférons nous concentrer sur les projets existants, les réaliser et regarder ensuite ce qui est envisageable de faire. Pour certains, cela fait déjà quelques trois ans qu’ils s’efforcent de construire leur maison. Pour cette raison, nous ne voulons pas créer de fausses expectatives, et cela malgré la sollicitation de nombreux autres mouvements et associations. Nous ne bénéficions pas du même pouvoir que celui du gouvernement. Il nous faut agir dans le calme et la sérénité.
A long terme, nous aimerions pouvoir construire à travers des rencontres une proposition, un modèle de construction. Comment faire de la construction de quartier grâce à l’aide mutuelle et l’auto-gestion un modèle pour l’ensemble de la société ? Il faut savoir que jusqu’à présent les expériences faites en collaboration avec des entreprises nous ont démontré que ces constructions coûtaient plus chers et que la qualité baissait en conséquence. Nous souhaitons appuyer la société civile en contribuant à l’élaboration de propositions concrètes en gardant en tête que l’UNIÃO ne sera jamais une grande entreprise de construction de maisons, mais qu’elle sera impliquée dans quelques projets choisis.
Quel est le processus que suivent les habitants-constructeurs pour obtenir un crédit solidaire ?
Les quatre projets que nous soutenons s’intègrent dans un programme de crédit solidaire. Nous considérons ce programme comme une avancée en la matière, mais qui n’est pas suffisante pour répondre aux besoins de tous. L’avantage de ce programme est qu’il offre la possibilité d’auto-gestion aux contractants. Celui qui gère les moyens financiers n’est autre que l’UNIÃO et les associations de quartier.
« Une bonne partie des sans-toit ne peuvent pas
accéder à ce crédit »
L’aspect négatif réside à travers les restrictions faites aux bénéficiaires. Une bonne partie des sans-toit ne peuvent pas accéder à ce crédit. En effet, les supposés bénéficiaires doivent s’enregistrer auprès de la caixa economica et prouver qu’ils bénéficient d’un revenu suffisant pour rembourser ce crédit. Il nous faut donc trouver d’autres possibilités pour les familles qui n’ont pas d’emploi, de terrain, de ressources et de toit. A titre d’exemple, sur le projet d’Estrada Velha prévu pour 302 familles, ce n’est pas moins de 1 000 familles qui ont été analysées au peigne fin.
Le cadre des conférences de la cité est idéal pour discuter de ce genre de problématiques en présence des politiques concernées. C’est par ce biais qui nous souhaitons trouver des solutions et amener le crédit solidaire à répondre aux attentes des plus démunis.
Jusqu’à présent, il n’existe que des programmes assistantialistes. Le programme s’appelle « résolution 460 » où les personnes reçoivent de forts subsides. Les maisons construites ne répondent pas aux attentes des bénéficiaires et sont inadéquates. La visée de ce programme est l’obtention d’une maison, mais cela ne résout en rien le problème de cette population. Il faut y joindre un fort programme social. Sans cet effort, les gens ne s’approprient pas leur maison. Dans certains de ces programmes, au bout d’un an, plus de 30% des personnes revendent leur toit et ne restent pas dans le quartier qui leur était destiné. Au bout de 10 ans, on ne retrouve plus personnes de la population d’origine à qui le programme s’adressait. Un programme bien construit doit être capable de faire évoluer dans le bon sens la vie des personnes. Il nous faut tenir compte des problèmes de santé, d’éducation, d’environnement, de scolarité et les intégrer dans les programmes d’urbanisme. Sinon nous pourrons construire des milliers et des milliers de maisons sans régler pour autant le problème à la base. Ainsi nous continuerons à vivre avec des milliers et milliers de sans-toit.
Propos recueillis par Claire Rinaldi et Olivier Grobet
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SANS-TOIT CONTRE SANT-TOIT :
585 familles dans l’expectative d’un logement sur le terrain
de la plage du requin à Paripe.
Depuis le 14 septembre 2006, 385 familles de sans-toit occupent le terrain de Paripe situé sur la plage du requin. Les occupations font partie intégrante de la réalité des mouvements sociaux luttant pour un habitat populaire accessible à tous. Cependant, celle-ci enfreint une règle fondamentale que les mouvements suivent entre eux : ne jamais occuper le terrain conquis par un autre mouvement. Or, une leader populaire, Valdísia Santana, s’est arrangée pour envahir la zone le jour précédent la signature des contrats de 200 familles faisant partie de l’association de quartier de Gameleira e adjacencias (situé à Paripe), partenaire de l’UNIÃO, et ayant obtenu le droit de vivre sur cette zone grâce à un programme lié au crédit solidaire. La signature de ces contrats représentait l’aboutissement de l’accord passé entre les familles et l’Etat qui leur octroie l’argent nécessaire à la construction de leur futur quartier par un prêt remboursable sur 20 ans. Ainsi Valdísia met à mal plus de 3 ans de lutte et de bataille pour obtenir la désappropriation du terrain, l’élaboration d’un projet construit de consort avec l’Université Fédéral de Bahia et de l’obtention d’un crédit solidaire auprès de la Caixa Economica (caisse économique lié à l’Etat). Cette leader compte ainsi faire valoir le droit de familles qui auraient occupé par trois fois le terrain et cela depuis 1998. Or, à part quelques exceptions, ce ne sont apparemment plus les mêmes personnes qui occupent le terrain aujourd’hui.
L’UNIÃO se défend, quant à elle, d’avoir eu vent de ses occupations. Créé en 2002, le siège de l’UNIÃO avait alors multiplié les partenariats avec les instances politiques et s’est efforcé de trouver des terrains propices à ses projets. Celui de Paripe a reçu un prix de l’Instituto de Arquitetos do Brasil. Initié à l’Université Fédérale de Bahia par Ângela Gordilho, alors professeure d’architecture, celui-ci a été remis à l’étude à la Caixa Economica. L’UNIÃO a alors obtenu le droit de mener à bien ce projet en devenant partenaire du programme allouant des crédits solidaires, programme novateur dans la Bahia.
Aujourd’hui, 585 familles se disputent le terrain devant la justice faisant d’elle la proie de la presse sensationnelle. L’UNIÃO a pourtant essayé de résoudre ce conflit à l’amiable en proposant d’inclure 36 nouvelles habitations destinées aux familles qui auraient occupés à maintes reprises la Praia do Tubarão (la plage du requin). Valdísia Santana a refusé toute forme de négociation et revendique l’intégralité du terrain pour la communauté qui la suit. Au bout de plusieurs mois de négociations infructueuses, l’UNIÃO a fait valoir ses droits auprès de la justice et a eu gain de cause. Au final, la préfecture de Salvador se doit d’envoyer la police afin de retirer par la force ces quelques 385 familles.
Le 06 février 2007, les 200 familles partenaires de l’UNIÃO, ainsi que ces leaders se sont retrouvés devant la préfecture de Salvador afin de débloquer leur situation. A noter, la majorité des leaders d’autres mouvements sociaux (MSTS, FABS, CONAN 2 julho, MNLM) qui ne cautionnent pas les agissements de Valdísia Santana, ont appuyé cette démarche et ont pris part à cette manifestation. La majorité des personnes travaillant dans le cadre des mouvements populaires en faveur des sans-toit déplore cet état de fait. Malheureusement, ce conflit illustre bien le déficit de logements auquel Salvador de Bahia doit faire face aujourd’hui. Les négociations se sont terminées par un accord de principe : la mairie s’efforcera de reloger les 385 familles de Paripe et fera respecter le droit des 200 familles de l’UNIÃO à bénéficier de leur terrain.
CO
Fragments de parole
Sergio Bulcão : « Nous promouvons un habitat digne »
Sergio Bulcão : « Les sans-toit sont des personnes qui ne sont pas propriétaires de leur propre maison et qui vivent avec un salaire à bas revenu »
Sergio Bulcão : » L’UNIÃO a la responsabilité de faire valoir la voix des différents mouvements de l’état de Bahia au niveau municipal, étatique et fédéral «
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