L’Union Européenne – à laquelle se joindra peut-être la Suisse -, les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, et la Russie ont tour à tour décidé de dépêcher leur flotte de guerre à proximité des côtes somaliennes pour assurer la sécurité des navires marchands. En novembre dernier, une résolution des Nations Unies les y invitait formellement contre la recrudescence de la piraterie en provenance d’un pays en guerre civile depuis presque 2 décennies. Cette protection de l’ordre public international sur les mers contraste avec la cynique négligence dont font preuve ces Etats au regard du conflit implacable qui se déroule en Somalie, et de son effroyable coût humain qui n’a cessé d’augmenter pour les civils.
En effet, depuis décembre 2006, le conflit s’est internationalisé avec l’intervention de l’armée éthiopienne aux cotés du gouvernement de transition contre un mouvement islamiste armé. Soutenu par Washington dans le cadre de la « guerre contre la terreur » et par les Nations Unies et l’Union Africaine dans un processus dit « de paix », force est de constater sur le terrain que cet engagement international coïncide avec des niveaux de violence décuplés, des crimes de guerre commis de part et d’autre entraînant des déplacements massifs de population (plus de 900.000 personnes en 1 an) sans commune mesure depuis le début des années 90. Depuis 2006, la réalité n’a fait qu’empirer, transformant la vie déjà extrêmement précaire des Somaliens en un enfer quotidien.
Autour de Mogadiscio, à Hawa Abdi en 2008, les équipes médicales de MSF ont pris en charge plus de 13.000 enfants sévèrement malnutris et sont obligées de se limiter aux hospitalisations pédiatriques. Plus de 300.000 personnes regroupées dans des abris de fortune et des conditions sanitaires déplorables y forment le plus gros camp de déplacés au monde. Le Kenya ayant officiellement fermé sa frontière, les réfugiés affaiblis passent clandestinement vers Dadaab, devenu un immense camp de 250.000 réfugiés. Certains encore font le voyage inhumain et périlleux pour rejoindre le Yémen, seul pays à reconnaître le statut de réfugié prima facie aux Somaliens. Selon les chiffres disponibles, 3,5 millions de Somaliens ont besoin d’une assistance en urgence.
Face à cette crise, la plus grave de 2008, le niveau et la qualité de l’assistance humanitaire sont restés totalement insuffisants notamment en raison de l’éviction progressive des humanitaires internationaux depuis 2007. La polarisation qu’entraîne le concept de « terrorisme » et la captation de l’action humanitaire privée par les Nations Unies a considérablement affaibli, dans le monde, la reconnaissance des humanitaires en tant qu’acteurs autonomes, neutres et impartiaux. Dès lors, leur sécurité est pratiquement impossible à assurer dans ce type de conditions.
S’il n’appartient pas à une organisation comme MSF de juger des choix politiques à l’origine des guerres, il nous revient de témoigner de leurs conséquences humanitaires et de l’érosion de l’espace de travail qui découle des méthodes pratiquées sur le terrain. Avec un nombre toujours plus restreint de travailleurs humanitaires et en l’absence de journalistes et d’images, le risque est celui d’un « black-out » complet. Il ne suffit pas aux grandes puissances de protéger des bateaux et des cargaisons qui naviguent au large des côtes somaliennes Il faut aussi qu’elles reconnaissent les besoins critiques d’une population meurtrie notamment en raison de la stratégie des acteurs internationaux de la « guerre contre la terreur ».
Prise de parole publique à la Tribune de Genève, le 14 janvier 2009
Bruno Jochum
Directeur des Opérations de MSF Suisse
http://www.msf.ch