« Aujourd’hui je comprends très bien cette attitude…c’est celle d’une Nation qui a plus de mille années d’histoire. Ce sont de indigènes qui me regardaient surtout avec curiosité, comme on regarde avec étonnement quelque chose de différent », dit Alessandra Bellini, originaire du canton de Genève, de nationalité suisse et italienne et en préparation pour une nouvelle mission de 3 ans à Cochabamba cette fois-ci, une ville située au centre de la Bolivie.
ACCEPTER LA DIFFERENCE
« La clé de la compréhension du vécu avec la Nation Qhara Qhara est l’interculturalité », explique A. Bellini. Cela signifie accepter, reconnaître et valoriser l’histoire, la tradition, la cosmovision, en fait la culture de l’autre. « Quant ils ont vu que je respectais profondément leur culture, une relation de confiance et de respect total s’est installée.
Si l’on parle d’interculturalité, il faut la mettre en pratique au jour le jour et c’est là que cela devient un « test » décisif. « Ils ont commencé à m’apprécier quand ils ont vu que je voulais partager leur vie. Je visitais leurs communautés avec eux à pied en marchant parfois plus de 8 heures sur des chemins escarpés, je mangeais la même chose qu’eux, je dormais comme eux et ainsi je pouvais ressentir ce qu’ils ressentaient ».
Dans ce processus de rapprochement il ne faut pas sous-estimer « l’effort d’utiliser mon quechua de base rudimentaire afin d’entrer en contact. Je les saluais et je faisais l’effort de me communiquer dans la mesure de mes possibilités dans leur propre langue. Ils riaient souvent de mes erreurs mais ils s’émouvaient aussi de voir les efforts que je faisais ».
Ce furent de longs mois de construction d’une relation horizontale, c’est-à-dire «m’approcher et travailler avec les jeunes leaders et leurs autorités indigènes, planifier des propositions et des objectifs communs en restant à leur écoute en me rappelant notre rôle de cooper-acteur/trice E-CHANGER qui est celui de travailler pour les gens, avec les gens, avec les communautés en partant de leurs visions et leurs nécessités ».
Avec un peu de recul, « je pense que le degré d’acceptation a changé essentiellement quand nous avons organisé ensemble le cours sur les droits de peuples indigènes avec les leaders ». Quand les autorités ont senti que je les respectais complètement et que je valorisais leur culture « ils m’ont donné leur accord *communautaire* et tout a commencé à se simplifier ».
METHODOLOGIES PARTICIPATIVES
Gagner la confiance ne signifie cependant pas « atteindre les objectifs ». Nous étions confronté à la grande question de comment réaliser la formation. «J’ai proposé des méthodologies participatives en utilisant des techniques comme les sociodrames, les marionnettes, la musique, le collage… et à ma grande surprise cela leur plu beaucoup. Tous voulaient faire la formation ».
Les expériences furent très intenses « surtout avec les femmes des communautés » avec lesquelles par exemple, comme se souvient Alessandra Bellini, « nous avons fait des jeux de rôle…Difficile d’imaginer tout ce que peut vivre une femme indigène jouant le rôle par exemple d’un grand propriétaire terrien de l’orient bolivien…Une expérience touchante».
Regarder en arrière signifie aussi faire un bilan. « Maintenant que je m’en vais ils me demandent pourquoi …peut-être est-ce là le meilleur indice qui prouve que j’ai réussi à semer quelques graines. J’ai beaucoup appris et cette cosmovision indigène m’a transformée profondément, elle m’a questionné sur mes propres racines, mes identités culturelles », souligne-t-elle en évaluant le parcours.
En ce qui concerne « mon principal apport…peut-être est-ce celui d’avoir pu m’exprimer comme je suis, d’avoir pu transmettre ma conviction que la formation est un processus d’inter apprentissages, d’apprentissages mutuels basé sur le dialogue, l’échange, de personne à personne, de communauté à communauté » insiste-t-elle.
Cette attitude même si simple et basique n’est pas évidente dans un monde construit sur d’autres valeurs et dimensions, explique t’elle avec conviction : « je suis fascinée et touchée par la culture indigène. Ses valeurs ancestrales comme le communautaire, la réciprocité, la vie en équilibre avec la nature sont des fondements pour la construction au niveau mondial d’un nouveau modèle politique, économique et social. Mais le danger réside dans le fait que la culture indigène se convertisse en un espace fermé, en une société mono culturelle. Le plus important c’est d’apprendre à reconnaître l’Autre et ses nécessités afin de construire une société qui inclut toutes les cultures et les métissages ».
LE REGARD EN ARRIERE
La réflexion finale est claire: “ma présence les a aidé à ouvrir quelques portes et fenêtres. Le partage de leur existence et de leur réalité a changé mes idées préconçues d’européenne, suisse occidentale ».
Le regard en arrière. Une certaine nostalgie apparaît avec la conclusion d’une petite étape d’un chemin millénaire que la Nation Qhara Qhara continuera de parcourir sans aucun repos. Voilà un désir profond qu’exprime cette *formatrice-formée* : « J’aimerais qu’ils comprennent que la Bolivie vit un moment historique et qu’ils puissent passer outre les frontières de la méfiance toujours présentes entre les indigènes, les paysans, les syndicalistes, les militants politiques et les citoyens ».
Cette réflexion vue sous une autre perspective vaut aussi pour la Suisse. «Que l’on comprenne que la Bolivie actuelle signifie beaucoup plus que l’expérience politique innovatrice d’Evo Morales. La dynamique sociale est plus compliquée et complexe que celle d’un gouvernement progressiste. C’est essentiel de comprendre ceci afin de pouvoir continuer à être solidaire » conclue Alessandra Bellini.
Sergio Ferrari
Service de presse E-CHANGER