Sergio Ferrari* , à Belém de Pará
A quelques heures du début, mardi, de la session amazonienne du Forum
social mondial, Belém paraît commencer réellement maintenant
à prendre conscience de la dimension de cette rencontre internationale.
Les mouvements sociaux brésiliens, pour leur part, ne cachent pas leurs
attentes sur le possible apport du rendez-vous altermondialiste. " C’est
un moment historique pour nous ", souligne Carmen Helena Foro, dirigeante
nationale du syndicat des travailleurs ruraux du Brésil et vice-présidente
de la Centrale Unique des Travailleurs (CUT). Cette organisation est la principale
confédération syndicale du pays, avec 3299 syndicats affiliés
et 28 millions de membres. Carmen Helena Foro, âgée de 42 ans,
originaire des environs de Belém, est venue dans sa ville pour participer
à cette session du FSM.
Sergio Ferrari (SF). : Depuis quand parle-t-on de la crise des syndicats
brésiliens ? Cette analyse est-elle réelle ?
Carmen Helena Foro (CHF) : Durant les dernières décennies, la
structure productive du pays a beaucoup changé. Cela implique aussi,
comme dans une grande partie du monde et de l’Amérique latine, la nécessité
d’une recomposition du mouvement syndical. Dans notre cas, il y a quelques mois,
un courant interne de notre organisation a quitté la CUT en raison de
divergences organisationnelles et politiques. Néanmoins, il serait injuste
de parler de crise, spécialement par rapport à l’objectif essentiel
du programme de notre organisation : la défense de la dignité
et des conditions de vie des travailleurs. Cela continue d’être un pilier
non négociable de notre organisation.
SF : L’ère Lula (ancien syndicaliste et dirigeant de la CUT) a-t-elle
été un élément favorable pour vous ou, au contraire,
a-t-elle restreint votre travail syndical durant ces dernières années
?
CHF : Cela nous a surtout obligés à certains réorientations.
Il est certain que, lors de l’arrivée de Lula à la présidence,
nous vivions une étape difficile. Néanmoins, il a préservé
– je le crois, comme la majorité des mouvements sociaux brésiliens
– l’existence d’un espace permanent de dialogue avec le gouvernement. C’est
très positif. Et d’autre part, nous gardons notre indépendance
de position. Nous sommes toutefois très critiques sur certains points-clefs
de la gestion de Lula.
SF : Par exemple ?
CHF : Particulièrement, sur la lenteur de la réforme agraire,
laquelle est une revendication très importante pour de larges secteurs
sociaux du Brésil. Son avancée durant le gouvernement de Lula
laisse beaucoup à désirer. Cette critique claire est sans aucun
doute un point de consensus pour tous les mouvements sociaux de mon pays.
SF : La venue de Lula, jeudi prochain à Belém, pour participer
avec 4 autres présidents de la région – Hugo Chávez (République
bolivarienne du Venezuela), Evo Morales (Bolivie), Fernando Lugo (Paraguay)
et Rafael Correa (Equateur) – peut-elle être comprise comme une tentative
de reconquérir la sympathie des mouvements sociaux brésiliens
?
CHF : Je ne partage pas cette hypothès., Malgré nos critiques
sérieuses envers son gouvernement, Lula n’a jamais cessé de venir
à Belém durant ces années. D’autre part, il a maintenu
la communication et le dialogue avec les mouvements sociaux. Il n’a pas besoin
de profiter d’un forum pour rétablir une relation, qui reste ouverte
et active. Je pense néanmoins que la visite de Lula, cette semaine, dans
le cadre du FSM est un signal emblématique adressé à tous
les secteurs politiques et économiques du pays et aux acteurs sociaux
qui arrivent du monde entier.
SF : C’est-à-dire…
CHF : L’Amazonie est aujourd’hui l’une des régions les plus complexes
et les plus contradictoires du Brésil. D’une part, elle connaît
la dévastation écologique et environnementale, avec une forte
présence d’entreprises nationales et de multinationales, qui en sont
responsables. Et en même temps, ils y existent des mouvements sociaux
actifs qui cherchent des alternatives, s’organisent et se mobilisent Cette réalité
définit un contexte où la présence et la parole de Lula
peuvent être très importantes. D’autre part, Lula vient à
Belém pour apporter son appui à ce grand projet mondial qui préconise
la construction d’un autre monde possible.
SF : Belém va rassembler, ces prochains jours, les représentants
de la société civile latino-américaine et mondiale. Quel
est réellement aujourd’hui l’état des relations entre les syndicats
brésiliens et leurs collègues du continent ? Et plus généralement,
entre les mouvements sociaux latino-américains ?
CHF : Il est essentiel de faire un pas supplémentaire en avant pour renforcer
ces relations. Bien qu’elles existent et se sont renforcées, elles ne
culminent pas complètement dans une pratique systématique commune.
Spécialement à un moment où l’Amérique latine traverse
une étape historique de sa vie continentale. Nous devons faire un pas
en avant substantiel du point de vue de l’intégration régionale.
Il est clair qu’il existe des propositions d’intégration économique
et commerciale. Mais il nous manque de la clarté dans le débat
et les propositions d’intégration sociale. D’autre part, il est essentiel
de ne jamais baisser la pression sur nos gouvernants pour trouver chaque jour
des réponses plus claires, rapides et effectives sur des thèmes
essentiels. Comme par exemple, l’augmentation de la faim, la précarisation
du travail et des travailleurs, la réponse à la crise financière
et économique, l’environnement, etc. Bien que le moment soit essentiel,
les défis que nous devons affronter le sont tout autant. Et les attentes
de notre base continuent d’être énormes
SF : En ce sens, que signifie et que peut apporter cette session du Forum
social mondial ?
CHF : Ce sera un moment grandiose de rencontre entre les mouvements sociaux
et pour avancer davantage dans le processus de résistance des travailleurs,
une opportunité unique de communication entre les peuples, la possibilité
de clarifier et d’impulser avec plus d’énergie les réalisations
sociales et populaires. De plus, un espace privilégié pour que
les femmes continuent à construire ensemble nos propositions, nos réseaux
et nos projets.
*Collaboration Le Courrier +
E-CHANGER, ONG de coopération solidaire active au Bresil,
Coorganisatrice de la délégation suisse à Belém