Une journée dans un service pédiatrique au Nord-Congo

Il faut dire que plusieurs milliers de personnes se sont réfugiées dans des camps de «déplacés internes» pour fuir l’insécurité liée à un contexte militaro-politique complexe.1 Ils sont des milliers à avoir abandonné leurs champs par peur des différents acteurs armés. D’ailleurs, rares sont les jours où on ne nous rapporte pas des assassinats, souvent commis à l’arme blanche. Ces «déplacés internes», entassés dans des huttes, manquent de presque tout. Un très gros travail a déjà été accompli à la base, mais il est ressorti de l’étude que les enfants gravement malades n’avaient pratiquement nulle part où être soignés et que le service de pédiatrie régional, sous-doté en personnel et payant (comme toute la santé en RDC, de manière plus ou moins officielle), était très peu fréquenté.

Si bien que depuis mi-décembre 2019, selon un accord passé avec le délégué régional de santé, MSF gère le service de pédiatrie de l’hôpital de Nizi. L’ONG a décidé de rendre gratuits pour les moins de 15 ans tous les soins qu’elle assure. La mise sur pied d’un approvisionnement constant en électricité (en particulier pour assurer la disponibilité d’oxygène aux enfants gravement malades) et l’augmentation du nombre de points d’eau et de sanitaires ont nécessité un important travail de logistique. Une tente a été montée pour porter le nombre de lits à 60 et pour assurer un meilleur circuit du patient (qu’il soit au bon endroit au bon moment dans son parcours hospitalier, et que, dès l’admission, un triage soit effectué en fonction de la gravité de l’atteinte à la santé).

Le service pédiatrique enregistre une quinzaine d’admissions par jour, la plupart concernent des enfants de moins de 5 ans. La pathologie qui prédomine est la malaria, alors que nous sommes en saison sèche: la plus grande partie des enfants arrivent avec une anémie grave, voire une atteinte neurologique. Il faut trouver un donneur de sang rapidement – souvent dans l’entourage de l’enfant – et commencer aussitôt le traitement. Il y a aussi beaucoup de pneumonies graves avec épanchements purulents. Un très grand nombre de ces patients sont sévèrement dénutris, ce qui complique la maladie et rend plus aléatoire la guérison. 25 lits sont consacrés à la renutrition, qui est introduite selon un protocole strict car il faut tenir compte de la fragilité de ces corps meurtris. On sait combien on risque des déséquilibres biologiques à vouloir aller trop vite, mais on ne dispose d’aucuns moyens de laboratoire pour nous orienter. Avec la seule clinique comme guide, c’est du jonglage un peu angoissant, où l’on doit accepter de ne pas sortir toujours gagnant.

Et puis il y a ces quatre ou cinq enfants arrivés avec une méningite qui souvent traîne depuis plus de 24 heures. Depuis deux jours seulement, il est possible de procéder à des identifications de germes sur le liquide céphalo-rachidien: on a pu confirmer notre impression clinique qu’il s’agissait de la méningite épidémique (contre laquelle nous, «expatriés», sommes obligatoirement vaccinés… mais pas les Congolais!). Il faut improviser un isolement, dans une cabane en bois qui devait servir de bureau.

Puis il y a ces nouveau-nés, dont l’accouchement a duré trop longtemps sans possibilité de césarienne, ou bien réalisée trop tard, ou qui ont attrapé la malaria de leur mère, ou encore simplement qui naissent prématurément… On les accueille dans «une chambre chaude» et on les place dans des couvertures de survie (celles en alu de nos montagnards!). Pour ces nouveau-nés-là, il n’y a pas de couveuses, pas de monitoring en continu, seulement un peu d’oxygène, des perfusions minimalistes. Au moins on ne manque pas de médicaments, essentiels recommandés par l’OMS.

Toutes ces situations sont gérées par un personnel qui n’est pas forcément formé en pédiatrie. C’est pourquoi on essaie de prendre une heure chaque jour pour harmoniser et améliorer nos prises en charge. Malgré tous nos efforts, rares sont les jours où nous n’avons pas de décès: je ne vous dis pas le ressenti quand une fois on en a eu quatre!

Et ça se passe au XXIe siècle.

A méditer, dans notre Suisse «confortable», alors que le monde est, paraît-il, devenu un village.

Bernard Borel, Le Courrier

https://lecourrier.ch/2020/03/05/une-journee-dans-un-service-pediatrique-au-nord-congo/

NOTES

1. Lire aussi «Les déplacés de la zone de Nizi, au nord-est de la RDC, vivent dans des conditions alarmantes», MSF, 6 février 2020, accès: https://bit.ly/38e7eaU

Notre chroniqueur est pédiatre FMH et membre du comité E-CHANGER, ONG suisse romande de coopération.

 

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