Le dernier vendredi de février 2021, le Conseil de sécurité des Nations unies a demandé un cessez-le-feu dans tous les conflits armés, afin de faciliter les vaccinations contre le Covid-19. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a salué cette décision. Mais elle a souligné que l’on pourrait faire bien plus pour aider à éradiquer la pandémie, notamment en abordant la question de la propriété intellectuelle des vaccins.
Tedros Adhanon Ghebreyesus, directeur de l’OMS, souligne que les pays à faibles et moyens revenus bénéficieraient fortement d’une suspension provisoire des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins1. Pour l’Ethiopien, cela permettrait d’augmenter la production et de faciliter la vaccination de toutes et tous, afin «d’en finir avec ce virus le plus tôt possible».
M. Gebreyesus a rappelé que les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prévoient des clauses permettant le partage de ce savoir-faire, mais que cette question reste «l’éléphant dans la maison», dont personne ne veut parler. «Lorsque nous parlons de propriété intellectuelle, nous constatons particulièrement un manque de coopération et une sérieuse résistance… Cette pandémie n’a pas de précédents et le virus a pris le monde entier en otage. Si la clause d’exemption ne peut s’appliquer maintenant, alors quand pourra-t-elle l’être?» se demande le directeur de l’OMS.
Société civile mobilisée
Le régime de propriété intellectuelle en vigueur entrave la distribution et l’accès aux vaccins dans le monde entier, c’est pourquoi il faut que les pays puissent le suspendre temporairement, confirme Patrick Durisch, responsable de la politique de santé au sein de l’organisation Public Eye. Or, il constate que la Suisse – comme les autres pays riches – continue de s’opposer à une telle dérogation et que l’OMC, jusqu’à début mars, n’est dès lors pas parvenue à un consensus.
Public Eye, Amnesty International et une vingtaine d’ONG helvétiques avaient envoyé, à fin janvier, une lettre au Conseil fédéral pour lui demander de soutenir la proposition d’exemption des normes internationales de propriété intellectuelle, afin de permettre une production décentralisée des vaccins. Pour les signataires, l’actuelle situation d’urgence exige des mesures audacieuses pour libérer rapidement la capacité de production de ces moyens de lutte essentiels. En d’autres termes, il faut autoriser une entreprise locale disposant des connaissances nécessaires à pouvoir se lancer dans la production de médicaments anti-Covid-19, sans devoir mener de longues négociations pour obtenir une licence permettant de le faire. Cette exemption non seulement épargnerait un temps considérable, mais elle garantirait aussi la liberté d’action visant à multiplier les vaccins et couvrir, de cette manière, les besoins locaux ou régionaux
essentiels.
Deux visions du monde sont en jeu: celle des monopoles pharmaceutiques et celle de la démocratisation de la production nationale décentralisée des vaccins ainsi que des traitements du Covid dans un contexte d’urgence pandémique.
Cette contradiction ne se réduit pas à un simple débat idéologique. Elle le transcende. Plus de cent pays appuient déjà la demande de dérogation temporaire déposée par l’Inde et l’Afrique du Sud auprès de l’OMC. Cette initiative peut compter sur l’appui de pratiquement toute l’Amérique latine et la Caraïbe, l’Afrique, la Chine et la majeure partie des nations asiatiques. Par contre, les Etats-Unis, le Canada, l’Union européenne, la Suisse, la Norvège, le Japon, l’Australie et le Royaume-Uni s’opposent à toute exemption. A cette liste, il faut ajouter le Brésil, qui fait le jeu des pays les plus puissants, en niant l’épidémie dramatique qui le touche et en sous-estimant ses propres problèmes d’approvisionnement.
2021, année perdue
Ces nations abritent les sièges des principales multinationales pharmaceutiques et allèguent que la propriété intellectuelle ne constitue pas un obstacle pour décentraliser et augmenter la production des vaccins.
Public Eye avec Médecins sans frontières, Médecins du monde et quatre cents autres organisations internationales ont communiqué à l’OMC leur appui à la proposition de l’Inde et de l’Afrique du Sud. «Dans une pandémie mondiale, qui touche tous les pays, nous avons besoin d’une solution mondiale», souligne cette déclaration conjointe.
Les pays riches ont conclu des contrats commerciaux bilatéraux visant à garantir l’achat de milliards de doses de vaccins pour leurs propres populations. La Suisse a acheté un total de 32 millions de doses de vaccins, soit le double de ce qui est nécessaire pour vacciner toute sa population avec deux doses.
Selon Public Eye, dans la situation actuelle, septante nations ne pourront pas vacciner plus d’une personne sur dix durant l’année 2021. Un proportion confirmée par Amnesty International dans l’ensemble des pays à faibles ressources.
La nouvelle directrice de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala – double nationale nigériane et nord-américaine –, a appelé, dès les premiers jours de son mandat, à améliorer la distribution des vaccins existants également dans les pays à basses et moyennes ressources. Et elle souligne les bénéfices du mécanisme Covax des Nations unies, qui a promis 2 milliards de doses jusqu’à la fin de cette année, notamment aux pays à basses et moyennes ressources.
«Même bien intentionné, le mécanisme Covax tel que conçu reste un exercice quasi philanthropique qui n’aborde pas les causes fondamentales de la mauvaise répartition des vaccins», estime toutefois Patrick Durisch.
Sergio Ferrari, Le Courrier, 9.03.2021
Traduction Hans-Peter Renk
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VACCINATIONS À DOSE HOMÉOPATHIQUE
Les premières doses de vaccin commencent à arriver sur le continent africain. Après le Ghana et la Côte d’Ivoire à fin février, le Nigeria, l’Angola, la Gambie et la République démocratique du Congo (RDC) ont pu bénéficier d’une livraison la semaine dernière du vaccin britannique AstraZeneca/Oxford – facilement stockable et meilleur marché – à travers le système Covax de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Près de 4 millions de doses ont ainsi été livrées au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, comptant quelque 200 millions d’habitants. Il s’agit du premier lot des 16 millions de doses de vaccin britannique qui doivent arriver dans les prochains mois au Nigeria, où le personnel de la santé sera vacciné en priorité.
L’Angola, peuplé de 30 millions d’habitants, a lui reçu 624 00 doses, tandis que la République démocratique du Congo (RDC) en a obtenu 1,7 million. A terme, 6 millions de doses devraient arriver par ce canal dans ce pays de 84 millions d’habitant·es. Enfin, la Gambie a, elle, obtenu environ 30 00 doses gratuites à répartir entre 2 millions de personnes.
Quelque 237 millions de doses AstraZeneca-Oxford, fabriquées en Corée du Sud et par le Serum Institute of India, devraient être livrées d’ici à la fin mai dans 142 pays grâce à une opération logistique sans précédent. A cela viendront s’ajouter 1,2 million de doses du vaccin Pfizer-BioNTech, qui exige une chaîne du froid, à températures très basses.
Relativement épargnée jusqu’ici par la pandémie, l’Afrique fait face à une seconde vague de Covid-19. Le continent comptait mardi passé 104 31 décès pour près de 4 millions de cas recensés. Des chiffres certainement sous-évalués, le nombre de tests réalisés étant faible. Benito Perez/ATS- Le Courrier
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