Alors que l’Américain Robert Francis Prevost, successeur du pape François sous le nom de Léon XIV, s’est exprimé, lors de l’une de ses premières allocutions, en faveur de la protection de la liberté de la presse, Reporters sans frontières (RSF) adresse cinq recommandations concrètes au nouveau chef de l’Église catholique et à la tête de la Cité du Vatican. Dans un contexte mondial marqué par la montée de la censure, de la désinformation et aussi des violences contre les journalistes, RSF appelle le Saint-Siège à faire entendre une voix forte et engagée pour la liberté de la presse et la protection des journalistes dans le monde.
Lors de sa première audience avec des représentants des médias le 12 mai, le pape Léon XIV a appelé à la libération des journalistes emprisonnés “pour avoir cherché et raconté la vérité”, leur exprimant “la solidarité de l’Église”, et à “protéger le précieux bien de la liberté d’expression et de la presse”. Cette prise de position, quelques jours seulement après sa nomination, saluée par RSF s’inscrit dans la lignée des engagements de son prédécesseur, mais invite à des actions plus concrètes en la matière.
“Que l’une des premières allocutions de Léon XIV porte sur la protection de la liberté de la presse et des journalistes est un signe fort envoyé aux professionnels de l’information du monde entier. RSF salue l’engagement du pape Léon XIV pour la liberté de la presse et l’appelle à prolonger sa déclaration par des actes concrets en faveur du droit à l’information. Les relations entre le Saint-Siège et les journalistes, qui n’ont pas toujours été au beau fixe, peuvent se construire de façon apaisée. À l’heure où 567 professionnels de l’information sont encore emprisonnés dans le monde, nous appelons le pape Léon XIV à soutenir les journalistes injustement persécutés en raison de leur mission journalistique, notamment en leur rendant visite en prison à chaque déplacement officiel. Aussi, en tant que chef d’État de la Cité du Vatican, Léon XIV est appelé à jouer un rôle moteur dans la défense d’une information fiable et libre à l’international. Nous sommes prêts à l’y aider.«
Thibaut Bruttin, Directeur général de RSF
Le pape François, élu en 2013 et décédé le 21 avril 2025, affirmait que “la liberté des journalistes accroît notre liberté à tous”. Cette déclaration a cependant été fragilisée à plusieurs reprises, notamment par ses propos controversés après l’attentat contre le média satirique français Charlie Hebdo en 2015. Et l’affaire “VatiLeaks 2” – où les journalistes italiens Gianluigi Nuzzi et Emiliano Fittipaldi ont été poursuivis pour avoir révélé des malversations au Vatican avant d’être acquittés en 2016 – a alimenté les critiques contre un Vatican accusé de vouloir freiner l’investigation.
Alors que son successeur, le pape Léon XIV a répété dix fois le mot “paix” lors de son discours inaugural le 8 mai dernier, et a déclaré, le 12 mai que « seuls des peuples informés peuvent faire des choix libres », il pourrait à présent saisir l’opportunité d’agir afin de poursuivre et de renforcer l’engagement de l’Église en faveur d’une presse libre et d’un apaisement des relations entre le Saint-Siège et les journalistes.
Ainsi, RSF formule cinq recommandations à l’adresse de l’Église catholique et du Saint-Siège :
1. Défendre l’utilité sociale du journalisme et le droit d’informer et d’être informé
RSF appelle le pape Léon XIV à adresser une encyclique – lettre adressée par un ou des évêques à tous les évêques d’une région ou du monde, à l’ensemble des fidèles, ou au monde entier – rappelant l’importance d’une information libre, indépendante, plurielle et fiable, dans un contexte de désinformation et de violences croissantes contre les journalistes. Une telle lettre pourrait placer la parole pontificale au cœur des défis contemporains liés à la justice, à la paix, à la dignité humaine, à la démocratie et au dialogue.
En tant que chef d’État de la Cité du Vatican, Léon XIV pourrait également signer le Partenariat international sur l’information et la démocratie, instrument intergouvernemental soutenu par 55 États issus de tous les continents, réunis pour apporter une réponse systémique et démocratique à la désinformation et au chaos informationnel.
Dans le cadre du dialogue interreligieux promu par l’Église, le Dicastère pour le Dialogue Interreligieux pourrait conduire des échanges entre représentants de la communauté journalistique et représentants des communautés religieuses sur l’importance d’une information libre, indépendante, plurielle et fiable pour la paix dans le monde. Les diocèses du monde entier pourraient ainsi être encouragés à organiser des moments de dialogue analogues avec les communautés locales.
2. Soutenir les journalistes injustement persécutés en raison de leur travail
Dans la continuité de sa déclaration du 12 mai pour la libération des journalistes détenus, RSF appelle le pape Léon XIV à rendre visite aux journalistes emprisonnés à travers le monde. À ce jour, 567 professionnels de l’information sont enfermés en raison de leur travail. Des visites analogues de la part des cardinaux électeurs, à leur retour dans leur diocèse, constitueraient également un geste fort.
3. Contribuer à l’apaisement des relations entre les journalistes et le Vatican
RSF appelle le Saint-Siège à une communication transparente et responsable sur les activités de l’Église catholique notamment en matière de finances, de gouvernance et de lutte contre les abus commis en son sein. Ce sont des sujets d’intérêt général sur lesquels les journalistes doivent pouvoir travailler sans entraves. Par ailleurs, RSF appelle Léon XIV à clarifier la position de l’Église sur le fait que la critique de la religion ne saurait en aucun cas justifier une quelconque violence ou privation de liberté, conformément au droit international.
4. Promouvoir la liberté d’informer et l’intégrité de l’information, à l’heure de l’intelligence artificielle
Dans son discours du 12 mai, Léon XIV a souligné le défi de “l’intelligence artificielle” qui nécessite “responsabilité et discernement”. À l’heure où l’intelligence artificielle générative révolutionne l’écosystème informationnel, RSF l’invite à soutenir la protection de l’intégrité de l’information. Cela pourrait s’inscrire dans la lignée du décret papal sur les moyens de communication sociale (Inter Mirifica, 1963), ainsi que dans celle de la note Antiqua et Nova portant sur le rapport entre intelligence artificielle (IA) et intelligence humaine, publiée en janvier 2025.
L’Église, par son réseau éducatif mondial, peut contribuer à la promotion de l’éducation aux médias et au développement de l’esprit critique, outils nécessaires pour apprendre à discerner l’information fiable des manipulations.
5. Soutenir l’information au service des sans-voix et des plus démunis
Alors que les discours médiatiques sur les migrations sont souvent déformés par des récits anxiogènes, stigmatisants ou inhumains, RSF appelle le Saint-Siège à soutenir ou cosigner une charte internationale sur l’information et les migrations, destinée à défendre une couverture digne, équilibrée et respectueuse des droits des personnes migrantes. Une telle action, en cohérence avec l’engagement constant du Vatican sur ce sujet, enverrait un signal fort en faveur de la dignité humaine, de la solidarité et du droit à une information juste et non discriminatoire. Plus globalement, RSF encourage le pape Léon XIV à promouvoir l’accès à l’expression et à l’information à toutes et à tous.
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