Venezuela : « LE PEUPLE N’EST PLUS UN PETIT ENFANT »

 Vous êtes un « novice » en politique…
– Effectivement, je ne m’étais jamais impliqué auparavant dans l’un ou l’autre des partis traditionnels (1), en qui je n’avais aucune confiance. Mon activité se déroulait dans des associations agraires, vu que j’étais – et que je suis toujours – producteur agricole. Lors de l’arrivée au pouvoir du président Hugo Chávez, j’ai pensé qu’il s’agissait d’une grande occasion pour changer fondamentalement les institutions et la logique politique traditionnelle. Ma tâche de député est chaque jour plus enthousiasmante: l’échange avec les gens et avec les communautés, avec qui nous sommes en contact permanent. Je crois profondément à ce que nous appelons le « parlementarisme de rue »: la consultation, le contact constant, les compte-rendus à la base. Bref, la richesse de ce processus en marche qui s’exprime aujourd’hui par le projet de réforme de la Constitution.

Le pouvoir populaire est en jeu

En quoi consiste ce projet de réforme et comment a-t-il été élaboré ?
– Moins du 10 % de l’actuelle Constitution sera changé: 33 articles sur 350. Et cela se fait par un processus intégral de réflexion et de débat à divers niveaux et à différents moments. La proposition de réforme fut présentée le 15 août 2007 par le gouvernement. L’Assemblée nationale a tenu une première discussion sur l’exposé des motifs de cette proposition, le 20 août. Une deuxième discussion s’est tenue au mois de septembre pour analyser les titres et les chapitres. Et, pour finir, une troisième discussion se déroulera du 15 octobre au 1er novembre, pour discuter chaque article avec toutes les propositions et objections issues de la participation populaire au « parlementarisme de rue ». Enfin, le 2 novembre, le projet sera transmis au Conseil national électoral, chargé de convoquer pour le 2 décembre, un mois plus tard, le référendum. Ce n’est donc pas l’Assemblée qui va décider, mais le peuple qui se prononcera à nouveau dans les urnes.

Y a-t-il eu aussi un type de consultation populaire directe ?
– Dans le cadre du « parlementarisme de rue », nous avons créé une « salle de réunion » à l’échelle nationale, ainsi que dans chacun des 24 Etats. Il existe aussi un groupe de *facilitadores* (promoteurs). A l’origine, furent formées 200 personnes, qui en ont formé d’autres dans chaque Etat. Aujourd’hui, 80.000 promoteurs visitent chaque maison pour expliquer le projet de réforme y écouter l’opinion des gens. Tout ce travail sera pris en compte lors de la troisième session du Parlement.

Quel est le coeur même, le point-clé de ce projet ?
– La création du pouvoir populaire comme un nouveau pouvoir constitutionnel de notre République. C’est cohérent avec la conception originale du président de donner le pouvoir au peuple. Il va compléter et approfondir la loi sur les Conseils communaux, approuvée l’année passée et qui permet d’approfondir la participation populaire à la gestion des ressources locales. Ce nouveau pouvoir s’articulera avec toutes les instances de pouvoir national, d’Etat et local.

Quel statut aura le pouvoir populaire ?
– Celui de sixième pouvoir, avec l’exécutif, le législatif, le judiciaire, l’électoral et le moral. Ce sera un 6e pilier de notre structure institutionnel. Et pour être le pouvoir du peuple, il devra devenir à court terme le premier pouvoir au niveau national.

La réélection comme possibilité

Certains médias relèvent que ces réformes tentent de dissimuler la présence indéfinie du président Chávez au pouvoir, en autorisant la réélection.
– La réélection est l’un des articles – le no 230 – à modifier. Je pense que quelqu’un qui fait bien son travail doit avoir le droit de le poursuivre. De plus, je suis convaincu que c’est un droit du peuple de définir qui va le gouverner. Il ne s’agit pas d’une réélection indéfinie, ce qui pourrait être compris comme non-défini, c’est-à-dire un concept vague. Dans notre cas, nous parlons d' »élection continue ». Le peuple conserve toujours la souveraineté, et les élections restent le moyen essentiel par lequel il se prononce. D’autre part, de nombreuses nations du monde – y compris en Europe – appliquent ce concept.

L’opposition – autoexclue du Parlement qu’elle avait boycotté 3 jours avant les élections nationales de 2005 – peut-elle s’exprimer dans ce processus ?
– Elle le fait dans plusieurs cadres: la consultation des « salles de réunion », la presse dont elle continue à contrôler la majorité. Et aussi par sa position politique actuelle très particulière. Je me souviens bien que cette même opposition avait rejeté la nouvelle Constitution adoptée en 1999. Maintenant, paradoxalement, elle considère cette Constitution – qu’elle avait alors combattue – comme la meilleure et s’oppose à sa réforme. C’est très significatif d’un état d’esprit politique très révélateur…

Que se passera-t-il le 3 décembre si une majorité du peuple ne votait pas pour cette réforme ?
– Comme toujours, nous respecterions la volonté du peuple. Mais, très honnêtement, je ne crois pas que les gens s’opposeront à des réformes qui leur bénéficient directement. Au Venezuela, le peuple a cessé de se sucer le doigt, « Le peuple n’est plus un petit enfant ». Et il vit une nouvelle ère politique et participative.

Malgré de nombreux scrutins dans les dernières années, certains médias internationaux persistent à définir le Venezuela comme une dictature…
– Si seulement nous pouvions inviter le monde entier à venir au Venezuela ! Je leur dis de venir au Venezuela, d’y voyager, de parler avec le peuple et ensuite de donner leur opinion… Qu’ils nous laissent exercer notre droit à la souveraineté !

Propos recueillis par Sergio Ferrari, avec la collaboration de Bernard Borel Traduit de l’espagnol: Hans-Peter Renk
1) De 1958 à 1998, alternaient à la présidence le COPEI (démocrate-chrétien) et « Action Democratica » (social-démocrate), signataires du Pacte de Punto Fijo, après la chute du dictateur Marcos Perez Jimenez

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Approfondir les transformations

Même si l’introduction du Pouvoir Populaire – avec ses conséquences politiques et organisationnelles – apparaît comme un point essentiel du projet de réforme constitutionnel, ce n’est pas le seul point d’importance centrale. En matière de sécurité, avec la réforme constitutionnelle, le président pourra décréter la formation de « régions militaires spéciales », dans des buts stratégiques et de défense. En matière de propriété, l’article 115 conceptualisera beaucoup mieux les différentes formes reconnues: la propriété publique, la propriété sociale (directe ou indirecte) et la propriété privée. Les avancées sociales du projet de réforme sont évidentes: passage de la journée de travail de 8 heures à celle de 6 heures (36 heures par semaine); amélioration de la couverture des travailleurs de la culture et des travailleurs par compte propre, etc. Le projet prévoit des restrictions claires des monopoles et introduit le cadre juridique pour « la construction collective et coopérative d’une économie socialiste » (article 112). C’est néanmoins le nouveau article 158 qui a l’un des plus grands contenus idéologiques. Il établit que « L’Etat impulsera comme politique nationale la participation protagonique du peuple, en lui transférant le pouvoir et en créant les meilleures conditions pour construire une démocratie socialiste ». Il y a aussi des changements significatifs au chapitre des forces armées: la Constitution réformée établit que les unités et corps de réserve deviendront des unités de la Milice populaire bolivarienne. En cas d’approbation du projet, la ville de Caracas sera appelée « Cuna de Bolivar y Reina del Guaraira Repano » (Sergio Ferrari) ________________________________________________________________________________________________SUISSE ET VENEZUELAEntretien avec Claudia Josi, juriste et chercheuse à l’Institut de fédéralismeEn quoi consiste l’expertise effectuée par l’Institut de fédéralisme de l’Université de Fribourg auprès du Conseil national électoral de la République bolivarienne du Venezuela ?« Depuis mai 2007, l’Institut de fédéralisme de l’Université de Fribourg coopère avec le Conseil national électoral (CNE) vénézuélien en matière de mécanismes de démocratie directe et, plus concrètement, de référendum. Dans ce contexte, l’Institut fournit un travail de consultation et d’expertise au CNE, relatif au développement de la législation sur ce thème.La Constitution politique du Venezuela (adoptée en l’an 2000) prévoit des mécanismes de participation citoyenne et de démocratie directe semblables à ceux que nous connaissons en Suisse. Etant donné que la Suisse a une expérience historique en matière de démocratie directe, le CNE s’est adressé à nous pour que nous lui faisions part de ces expériences en ce qui concerne la législation et l’organisation de ces mécanismes.Bien que la Constitution prévoie ces mécanismes, il n’existe jusqu’ici au Venezuela pas de législation qui concrétise et en définisse les procédures concrètes. Cela limite la possibilité d’appliquer et d’utiliser ces mécanismes. C’est pourquoi l’existence d’une réglementation basée sur une loi est très importante pour le développement de la démocratie directe au Venezuela. En ce moment, le CNE est donc en train de développer la loi qui doit concrétiser ces mécanismes de démocratie directe prévus par la Constitution. Notre coopération se limite au processus de création de cette législation sur le référendum: il s’agit d’un partage d’expériences et de donner des impulsions pour développer les éléments de démocratie directe au Venezuela ».Les efforts réalisés au Venezuela pour élargir le concept de la démocratie participative…« De manière générale, la Constitution vénézuélienne nous paraît assez bien structurée, avec un niveau très élevé de participation citoyenne. Cette référence au peuple comme origine principale de la souveraineté de l’Etat se reflète dans plusieurs articles et trouve son apogée dans les articles 70 à 74 de la Constitution, qui décrivent les quatre types de référendum que connaît la démocratie directe au Venezuela.Au Venezuela, on peut observer un fort développement de différents mécanismes de démocratie directe, et une claire affirmation de ce rôle « participatif et protagonique » des citoyens. Cette participation « directe et protagonique du peuple » se réalise par divers mécanismes: l’un d’entre eux, c’est la décentralisation de la politique et son rapprochement des citoyens: à travers divers conseils, constitués par différents secteurs, niveaux étatiques et organisations responsables, les citoyens peuvent participer à la planification et à la coordination des politiques publiques.Une composante fondamentale réside dans les conseils communaux, l’instance la plus proche et la plus directe pour la participation de la population, créés en 2006. Bien que la création de ces conseils ait suscité aussi des critiques, ils pourraient se développer à l’avenir comme un mécanisme efficace de véritable participation de la population. De plus, la Constitution prévoit d’importants mécanismes de participation citoyenne. Dans les faits, si nous faisons des comparaisons avec d’autres pays (particulièrement en Amérique latine), la dominante en matière de participation citoyenne est exemplaire. Il existe peu de pays où la Constitution elle-même prévoit tant de mécanismes de démocratie directe comme c’est le cas du Venezuela (elle prévoit même plus de types de référendum qu’il n’en figure dans la Constitution suisse).Mais la garantie constitutionnelle de certains droits n’implique pas leur respect automatique. Cela dépend de nombreux autres facteurs, parmi lesquels la concrétisation par la loi. Une loi qui régule les détails organisationnels et la réalisation de ces mécanismes est une pré-condition nécessaire pour que ceux-ci soient réellement opérationnels dans la pratique et puissent être un élément important pour prévenir.En ce sens, nous espérons que notre coopération puisse contribuer à la concrétisation législative de ces droits et mécanismes et que, grâce à cette loi, le peuple vénézuélien réussisse à assumer le rôle protagonique que lui assigne sa Constitution ».

Sergio Ferrari

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