Le terrorisme ravage le Burkina Faso, témoigne Souleymane Ouédraogo

Au Burkina Faso, en proie à des attaques terroristes toujours plus fréquentes, près de 500’000 personnes sont déplacées, dépourvues des soins élémentaires, tandis que 2’000 écoles sont fermées. «Le pays fait face à une crise humanitaire sans précédent», alerte le militant burkinabè Souleymane Ouédraogo.

«Dans certaines régions, sous couvre-feu, il est interdit de circuler à moto entre 18h30 et 6h du matin: c’est le véhicule préféré des djihadistes» confie à cath.ch Souleymane Ouédraogo, invité par l’association romande E-Changer (*), engagée depuis 60 ans dans la coopération par l’échange de personnes. «Le pays est fragilisé, déstabilisé, en proie à une situation insurrectionnelle larvée, mais il peut se relever», lance, un brin optimiste, l’artiste et musicien rap burkinabè.

Les civils sont les premières victimes

Souleymane Ouédraogo est membre de la Coordination nationale du Balai citoyen, en partenariat avec E-Changer depuis 2018. Ce mouvement de la société civile burkinabè, fondé en 2013 par deux artistes militants, Sam’s K Le Jah et Serge Bambara, dit «Smockey», a contribué, avec d’autres organisations, à la chute du dictateur Blaise Compaoré en 2014.

Pays d’Afrique de l’Ouest  comptant 20 millions d’habitants, le Burkina Faso peine à faire face aux incursions terroristes d’Ansarul Islam, du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et du groupe Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Ces attaques ont fait près de 700 morts depuis 2015, et l’armée nationale, appuyée par les forces françaises de l‘Opération Barkhane, actives dans la région du Sahel, a subi des lourdes pertes.

Narcotrafiquants et bandes criminelles

Depuis cette date, ce pays de 274’400 km2, peuplé de 60% de musulmans, de 25 % de chrétiens (dont près de 20% de catholiques), et d’adeptes des religions traditionnelles, subit des attaques récurrentes dont les civils sont les premières victimes. La violence touche les régions du Sahel, du Nord, du Centre-Nord, et de la Boucle du Mouhoun, au Nord-Ouest.

Dans ces régions, la société est paralysée, les activités économiques fortement réduites, la population cherche refuge en dehors des zones «contaminées». Des bandes criminelles et des  narcotrafiquants sont également très actifs dans la région Est du pays, sur lesquels peuvent se greffer des djihadistes. 

Leleitmotiv du Balai citoyen:l’éducation citoyenne  

Le Balai citoyen, qui s’inspire de l’élan émancipateur du président socialiste Thomas Sankara – «un phare pour nous» dixit Souleymane Ouédraogo – a lutté pour faire tomber Blaise Compaoré, qui avait pris le pouvoir en octobre le 15 octobre 1987 à la suite de l’assassinat de Sankara.

Ce mouvement de la société civile, qui ne veut pas s’affilier à un parti politique, vise à développer l’éducation citoyenne et la participation de la population à la gestion des affaires publiques. Il est implanté dans 10 des 13 régions du pays, sauf au Sahel, dans la Boucle du Mouhoun et au Centre Sud. «Nous invitons nos concitoyens à demander des comptes à nos représentants politiques, pour en finir avec la corruption, et à suivre de près le travail des conseils municipaux».

«Le premier souci, c’est la sécurité, pas les droits humains !»

«La situation sécuritaire complique notre travail, et le sentiment dominant dans la société est que le Burkina est en guerre, et quand on est en guerre, le premier souci, c’est la sécurité ! Certains pensent même qu’il y a dans le pays trop de droits démocratiques pour pouvoir lutter efficacement contre le terrorisme…»

Le désespoir pousse les gens à délaisser les droits humains et les garanties constitutionnelles, déplore-t-il. Le Balai citoyen réclame que la nécessaire lutte contre les djihadistes respecte le cadre démocratique et les droits humains, et refuse notamment les exécutions extra-judiciaires.

Le terrorisme se nourrit de tous les trafics

Souleymane Ouédraogo relève que le terrorisme se nourrit de tous les trafics. Djibo, ville de la province du Soum, proche de la frontière avec le Mali, dans le nord du pays – dont le député-maire Oumarou Dicko a été tué dans une embuscade le 3 novembre 2019 – «a toujours été le siège des narcotrafiquants et des contrebandiers, qui y font transiter toutes sortes de marchandises, notamment de la drogue, des carburants, des armes et des véhicules».

Tout le trafic du Niger, du Bénin, du Togo, du Nigeria y passe vers les zones du Mali, assure-t-il. «Le gouvernement de Compaoré a toléré ce trafic, et son régiment présidentiel l’accompagnait. Maintenant, les fonctionnaires, menacés, ont pris la fuite, c’est devenu une zone de non droit».

Le prédicateur islamiste Ibrahim Malam Dicko

Djibo était le fief du prédicateur islamiste Ibrahim Malam Dicko, formé en Arabie Saoudite et au Mali. «Il était très aimé et avait un discours révolutionnaire, il défendait la région et mettait en cause la toute-puissance des chefferies coutumières et le monopole de l’autorité religieuse détenu par les familles maraboutiques. Il les accusait de s’enrichir aux dépens des populations.   Malam Dicko avait de l’influence, il prêchait dans une mosquée et utilisait la radio locale. Il a chauffé la population et a profité du laxisme des autorités du temps de Compaoré».

Malam Dicko a décidé de passer à l’insurrection armée, après avoir vu des paysans, des musulmans peulhs, subir des humiliations publiques de la part des militaires. Le djihadiste serait mort en 2017.  

Le drame de Yirgou et ses représailles

Le gouvernement a malheureusement tâtonné dans le règlement de ce conflit, ce qui a provoqué un appel d’air et permis le recrutement de nombreux Peulhs par les groupes terroristes. Les 1er janvier 2019, une attaque terroriste à Yirgou, au Centre-Nord, qui a coûté la vie au chef du village à son fils et à d’autres civils, va immédiatement entraîner des représailles de la part des miliciens Koglweogo appartenant à la communauté des Mossis, l’ethnie majoritaire au Burkina Faso. Cette la milice rurale d’autodéfense va alors s’en prendre aux éleveurs peulhs, accusés de complicité avec les djihadistes.. Des campements sont attaqués et une cinquantaine d’entre eux sont massacrés.

«Un massacre précurseur, lâche Souleymane Ouédraogo, qui assure qu’avant le drame de Yirgou, on ne notait pas d’attaques systématiques de villages, même s’il y avait déjà sous Compaoré, notamment à l’Est, des ‘coupeurs de route’, des bandits et toutes sortes de délinquants. Les Koglweogo étaient à l’origine des organisations citoyennes qui protégeaient les villages, mais ils sont devenus des groupes d’autodéfense armés».

Communautarisme et conflits interethniques

«Depuis un an malheureusement, on assiste à une montée du communautarisme et des conflits interethniques, du fait que certaines régions sont accusées d’être des complices du terrorisme. Aucune communauté ne devrait être tenue pour responsable et punie pour des faits commis par un ou plusieurs de ses membres. Mais dans ces régions conflictuelles, les djihadistes ont réussi à diviser la société et à dresser les communautés les unes contre les autres, déstabilisant toute la société».

Depuis que la France a lancé l’Opération Barkhane, tout comme le volet militaire du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), la situation n’a fait que se dégrader, estime le responsable du Balai citoyen. «Ce qu’il faut avant tout, ce sont des opérations de police. Des hommes sur le terrain, au contact des populations, c’est plus efficace que des opérations purement militaires. D’autant plus que la société burkinabè se méfie de l’emprise grandissante de la France dans ce conflit. Elle craint de rester indéfiniment dans le giron de l’ancienne puissance colonisatrice, qui maintient un contingent militaire sur notre territoire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme». (cath.ch/be)

Jacques Berset, Cath.ch, 19 novembre 2019

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