Premier volet d’une interview triptyque, Bernard Comoli, membre du Mouvement pour la Coopération Internationale, revient sur les origines du MCI, l’un des mouvements genevois fondateur de la Fédération Genevoise de Coopération. L’évolution des différents modèles de la coopération au développement permet de mieux comprendre la conjoncture actuelle. Quelles solutions existe-t-il pour les ONGs du Sud ?
Quelles sont les origines du MCI et son histoire ?
Le MCI a commencé avec des projets en Afrique et avec un appui donné à des étudiants venant de Haïti. Nous sommes du reste toujours en contact avec ces personnes. Par exemple, le responsable du projet du Togo, Bernard Akakpo (décédé depuis), et son épouse sont venus à notre 40ème anniversaire qui s’est déroulé en 2002. Il y a également eu des membres de l’APRA (Association Protestante Recherche-Action en éducation), une association oeuvrant en Haïti.
Dès l’origine, le MCI a affirmé que la solidarité devait se concrétiser effectivement en fonction du Sud, mais en marquant aussi un engagement au niveau de Genève. On avait tous la même conviction : une partie des clés du problème du sous-développement se situe aussi chez nous.
Une évolution complémentaire
Quant à l’évolution de la manière de penser la coopération, au début des années 60, au moment de la décolonisation des pays d’Afrique francophone, les mouvements d’indépendance dans ces pays ont vu se développer en parallèle la FAO, l’UNESCO, l’OMS, soit bon nombre d’organisations internationales. Les actions de coopération des ONGs étaient perçues comme un complément aux actions des gouvernements locaux et institutions internationales.
A l’époque, la philosophie s’articulait autour d’une notion clé : le retard. On pensait qu’il y avait deux secteurs économiques dans les pays en voie de développement : l’un traditionnel et l’autre moderne. Au Maroc, par exemple, où j’ai été coopérant bénévole pendant plusieurs années, une partie de la population locale vivait de l’agriculture tandis qu’en ville, les gens gagnaient essentiellement leur vie grâce à l’artisanat. Le tout était de savoir imbriquer ce marché au sein de l’économie moderne, issue souvent de la colonisation. A titre d’exemple, des marques de voitures se sont implantées à l’époque au Maroc avec des chaînes de montage parce que la main d’œuvre était meilleur marché. Quel lien pouvait-il y avoir entre les activités lucratives traditionnelles et ce pan de l’économie moderne ?
Gouvernances et capacités citoyennes
Le modèle économique admis à l’époque voulait que l’Etat joue un rôle prédominant au niveau de la redistribution des richesses par le biais de l’impôt. Dans cette optique, le rôle des ONGs était de donner un coup de pouce aux initiatives locales pour qu’elles puissent bénéficier d’un effet d’entraînement avec en tête l’objectif que les gens se créent eux-mêmes des sources de revenu.
Dans la pratique, on pensait effectivement qu’après quelques années à donner un coup de pouce, il fallait passer à autre chose, rendre les autochtones indépendants. Très vite on s’est rendu compte que les choses ne se passaient pas forcément tel que prévu.
En Afrique, les gouvernements avaient mis souvent en place des régimes à parti, syndicat et jeunesse uniques, soit un système où il y avait très peu de place pour les initiatives autres que celles provenant des autorités. Dans ces conditions, les capacités citoyennes se sont vite essoufflées.
Importance de la notion de durabilité
Fin des années 70 jusqu’au milieu des années 80, on a pris conscience de l’importance de travailler dans la durée. Que reste-t-il après 5 ou 6 ans de partenariat ? Le MCI a opté à ce moment pour des collaborations de plus longue durée.
Durant cette période, le MCI s’est engagé avec d’autres mouvements pour faire augmenter l’aide publique au développement. Il y a eu toute une campagne initiée au départ par la Déclaration de Berne pour que les gens travaillent avec les collectivités publiques. Il s’agissait de débloquer des financements pour des projets d’aide au développement. C’était le début d’une période relativement favorable durant laquelle la recherche de fonds a débuté. Aujourd’hui nous en sommes au fameux 0,7 % du budget de l’Etat consacré à la solidarité internationale. Ce taux est toujours inappliqué malgré le vote favorable du parlement genevois.
Economie solidaire : alternative au néolibéralisme ?
Au niveau global, le consensus de Washington (http://www.horizons-et-debats.ch/22/22_10.htm) a fait que la priorité a été donnée à la libéralisation du marché. Beaucoup croient encore que la solution viendra indubitablement du « tout marché ». Mais de plus en plus, on se rend à l’évidence que l’ultra libéralisme économique conduit inévitablement à l’augmentation des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres. Cela signifie que nous devons tout simplement trouver une alternative.
J’ai évoqué les régimes unilatéraux qui s’étaient développés en Afrique. Il y a environ 20 ans, nous avons vu naître dans ces mêmes pays des ONGs composées de personnes formées, compétentes, qui savent ce qu’elles se veulent et qui sont capables de se mobiliser pour apporter des changements dits structurels. A titre d’exemple, au carrefour genevois de la solidarité organisé par le Fédération Genevoise de Coopération, une association camerounaise, représentée par son responsable, Bernard Djonga, est venu nous expliquer comment il a obtenu du gouvernement qu’il modifie sa loi sur l’importation du poulet pour faire en sorte que les élevages locaux soient compétitifs sur le marché. Cet exemple illustre bien les capacités actuelles de ce type d’ONGs au Sud.
Au MCI, nous avons vu au Brésil les gens s’organiser autour de l’économie solidaire, obtenir des services municipaux, des Etats et de l’Etat fédéral l’accès au micro crédit pour ceux qui ont peu de moyens. Ils se sont battus pour obtenir cet outil économique. Cela signifie que les personnes porteuses d’initiatives locales peuvent recourir à un financement favorable à leurs activités. En parallèle, de nombreuses organisations ont formé des personnes afin qu’elles puissent s’autogérer du point de vue marketing, de la qualité des produits et de la vente. Il existe un réel effort fait sur place pour que les ressources financières ne viennent pas d’autres pays que du Brésil lui-même. Le CEDAC (Centre d’Action Communautaire) comme nos autres partenaires du Sud fait beaucoup dans ce sens. Ils sont aujourd’hui des démultiplicateurs, et ils ressentent malgré tout un besoin incessant de trouver de nouvelles ressources financières.
Prendre acte de l’existence des ONGs du Sud
Les exigences des bailleurs du Nord s’attachent à définir un projet bien précis. En somme, ils sont d’accord de payer les frais inhérents au projet lui-même, mais pas les besoins de l’association du Sud qui est porteuse du projet.
Au MCI, nous nous sommes posés quelques questions essentielles. Existe-t-il une alternative ? Un exemple. Avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement Lula, les ONGs avaient demandé la création d’un ministère pour l’économie solidaire. Ils n’ont obtenu qu’un Secrétariat d’Etat. En 2003, la chargée des relations institutionnelles du CEDAC et un représentant du MCI se sont rendus au Secrétariat d’Etat à l’économie solidaire à Brasilia. Il s’agissait de demander aux responsables de quelle manière ils allaient aider les ONGs porteuses des projets. La réponse a été très simple. En raison des difficultés financières de l’Etat brésilien, il était possible de débloquer des crédits pour des projets, mais pas pour l’association qui en était porteuse, sauf quelques heures de comptabilité nécessaires à la reddition des comptes.
Les ONGs sont nées, actives et compétentes, mais elles peinent à être prises en charge. J’en connais beaucoup qui se trouvent au cœur de ces problèmes de financement. Il faut prendre acte de l’existence de ces ONGs au Sud, de réaliser leur importance, d’appuyer en priorité leurs initiatives et de prendre en compte leurs besoins que ce soit au niveau de leurs projets, mais aussi au niveau de leur fonctionnement.
Propos recueillis par Olivier Grobet
Fragments de paroles
Comoli : « Les ONGs du Sud sont nées, actives et compétentes,
mais elles peinent à être prises en charge. »
Comoli : « La difficulté quand on est bailleur de fonds, tel que
l’on peut être perçu par les gens du Sud, c’est
de rester le partenaire qui prône autre chose qu’un rapport
institué en fonction de l’argent »
Comoli : « Le bénévolat avec autant d’exigences techniques
et professionnelles relève d’une militance engagée,
faite de convictions»
Une réflexion sur « Comoli : « Les ONGs du Sud sont nées, actives et compétentes, mais elles peinent à être prises en charge. » »