Au lendemain du vote d’une majorité des députés en faveur du processus de destitution lancé contre la présidente brésilienne Dilma Rousseff, João Paulo Rodrigues, membre de la direction nationale du MST, affirme que les mouvements populaires ne reconnaîtront pas le président ad intérim Michel Temer (ancien vice-président issu du PMDB, lui-même poursuivi pour avoir reçu des pots-de-vin millionnaires dans le cas de l’affaire Lava Jato). Selon João Paulo Rodrigues, un nouveau moment politique s’ouvre au Brésil: celui de la remontée de mouvements populaires de masse. Un moment qui exige, de la part des mouvements, un effort important d’organisation et de conscientisation auprès d leur base sociale.
Organisés en deux fronts uniques, le Frente Brasil Popular (Front Brésil populaire) et le Frente Povo Sem Medo (Front Peuple sans peur), les principaux mouvements populaires et syndicats appellent à renforcer les mobilisations contre le coup d’Etat institutionnel orchestré par les éléments les plus réactionnaires et corrompus de la droite brésilienne. Et appellent à des manifestations et grèves de grande ampleur le 1er mai prochain.
Comment analysez-vous le résultat de la votation à la Chambre des députés ?
João Paulo Rodrigues – C’est un résultat assez compliqué, parce qu’il représente une aberration du point de vue juridique et un affront du point de vue politique. Ce qui signifie que l’ensemble des forces de gauche et progressistes vont devoir agir immédiatement, dans le sens de bloquer cette votation au Sénat. Si le Sénat approuve la destitution de Dilma Rousseff, nous devrons préparer un mouvement de désobéissance civile et refuser de reconnaître le gouvernement Temer au cours des prochains six mois, qui est le temps que durerait l’éloignement de la présidente Dilma Rousseff.
Mais le principal, au-delà de nos tâches urgentes, est d’expliquer cela à notre base et profiter de ce moment pour réaliser un cours collectif sur la manière dont fonctionne le Congrès national, sur ce qu’est la manipulation, et sur les potentialités et les perspectives des forces politiques de gauche. Au-delà de la frustration, ce dimanche nous a laissé de nombreux exemples pédagogiques et leçons utiles pour l’ensemble des travailleurs.
Quelles sont les prochaines étapes?
Il y en a plusieurs. La première est de maintenir la force des unions de la gauche organisées par le Front Brésil Populaire et le Front Peuple sans peur. Le deuxième est de planifier ce que nous allons faire durant la prochaine période en tant que militants, en lien avec notre base. La dernière est d’organiser des manifestations impliquant les divers mouvements sociaux de la campagne et de la ville, spécialement en vue du 1er mai. Nous allons faire de grandes mobilisations et réaliser une démonstration de force contre les partisans du coup d’Etat.
Que dites-vous aux personnes qui sont tristes, pensant qu’elles ont subi une défaite?
Je pense que notre première tâche est de commencer à faire du travail de base. Organiser nos groupes contre le coup d’Etat, faire partie du Front Brésil Populaire et participer à d’autres organisations. Il ne faut jamais rester seul dans un moment comme celui-ci. La deuxième priorité est de ne pas tomber dans les provocations de la droite, qui seront nombreuses. La droite va avoir plus de problèmes que nous à résoudre dans la prochaine période.
Je pense que nous allons, au cours de la période qui s’ouvre, accumuler des forces de manière collective, mais qu’il n’y aura pas d’issues individuelles. Les issues ne peuvent être que collectives. Pour cela, il est très important que nous disposions d’espaces collectifs dans lesquels nous puissions prendre des décisions et, en même temps, que nous construisions des actions unifiées, dans les campagnes comme les villes.
Pensez-vous qu’un nouveau cadre historique de mobilisation s’ouvre au Brésil ?
Sans aucun doute. Je pense que nous allons sortir de ce début de lutte contre le coup d’Etat avec une perspective que nous ne voyions plus depuis plus de 20, voire 30 ans. Notre génération est convoquée à construire, très vite, des actions, des luttes, de l’agitation et de la propagande, à prendre des décisions politiques. Du point de vue politique, nous allons assister à une remontée des luttes populaires, ce que nous n’avions pas jusqu’à présent. Et cela va nous donner de nombreuses tâches collectives à réaliser dans la prochaine période.
Interview: Luiz Felipe Albuquerque, parue sur le site Brasil de Fato, 18 avril 2016
Traduction Guy Zurkinden pour E-CHANGER
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