Les mouvements sociaux ont la parole

Le travail systématique de réflexion, d’échanges et de propositions effectué par les représentant-e-s de nombreux mouvements sociaux, campagnes et réseaux a fructifié. Dans la soirée du dimanche 29 janvier , le jour de la clôture du 6e Forum social mondial, l’assemblée des mouvements sociaux a résumé ses propositions dans le « Document de Caracas ».
 
Ce document commence par évaluer « la crise de légitimité du système néo-libéral et de ses institutions », sur le continent latino-américain comme dans d’autres régions du monde. Quelques exemples à l’appui de cet argument : la crise mortelle de l’ALCA (Accord de libre-commerce des Amériques) depuis le sommet de Mar del Plata (Argentine), début novembre 2005 ; les votes contre la ratification de la Constitution européenne en France et aux Pays-Bas.
 
La thématique de l’autonomie des mouvements sociaux apparaît comme un concept politique fondamental. Le document estime que « face à l’arrivée au gouvernement d’alternatives politiques liées aux processus de lutte populaire, les mouvements sociaux doivent maintenir leur autonomie politique et programmatique, impulser la mobilisation sociale pour faire avancer la concrétisation de leur objectifs et exercer une pression contre toute adaptation de ces gouvernements au modèle néo-libéral ».
 
Concernant les initiatives concrètes, les mouvements sociaux ont adopté un agenda, qui contient de nombreuses mobilisations, journées et rencontres qui permettent de prévoir une année 2006 active et dynamique.
 
La journée de mobilisation internationale contre la guerre, prévue pour le 18 mars – accompagnée d’un « non » à toutes les occupations militaires, particulièrement celle des territoires palestiniens par Israël – constitue un point central.
 
D’autre part, les mouvements sociaux reconnaissance ne pas avoir réussi à « faire échouer la réunion ministérielle de l’OMC à Hong Kong », bien qu’ils prévoient que « tout n’est pas perdu » et appellent à exercer des pressions sur les différents gouvernements avec diverses initiatives, tout particulièrement dans les trois prochains mois, pour « contrecarrer les résultats de Hong Kong ».
 
Face au prochain sommet du G8 à Saint-Pétersbourg (Russie), en juillet prochain, ils appellent à la tenue d’un contre-sommet des peuples.
 
La journée contre la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, prévue pour septembre 2006, a été reconfirmée par les mouvements sociaux. Avec l’objectif de « dénoncer l’illégitimité de la dette financière réclamée au pays du Sud », défendre le refus et le non-paiement de cette dette et reconnaître « les peuples du Sud comme créanciers d’une immense dette historique, sociale et écologique, dont le remboursement est exigé ».
 
Les mouvements sociaux ont prévu de tenir une rencontre continentale en avril 2006 à La Havane (Cuba) et se sont prononcés aussi en faveur des droits des peuples indigènes, pour la souveraineté alimentaire et la réforme agraire intégrale. Ils convoquent donc deux journées, le 17 avril et le 16 octobre, de « soulèvement mondial » pour défendre le droit à la terre.
 
De son côté, la Marche mondiale des femmes insiste sur la lutte contre « la marchandisation et la super-exploitation des femmes » et appelle à une journée d’ « action féministe, le 8 mars, contre la tyrannie du marchée et contre la guerre ».
 
Les mouvements sociaux ont aussi pris position sur une série de thématiques capitales : notamment, contre la privatisation des services publics ; pour le droit à l’information et à la communication ; le droit à la santé, qui fait l’objet d’une campagne mondiale.
 
Les organisations sociales appellent à se mobiliser et à être présents au contre-sommet de Vienne (Autriche), qui se tiendra durant la seconde semaine de mai – juste après le Forum social européen, à Athènes -, dans le cadre d’une grande rencontre internationale entre les présidents latino-américains et les chefs d’Etat européens organisée précisément en Autriche.
 
Sergio Ferrari , de Caracas
Traduction : H.P. Renk
Collaboration E-CHANGER
 
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Caracas et le débat d’idées
 
Le Forum social mondial policentrique de Caracas a pris fin dimanche 29 janvier. Il avait été précédé d’une session à Bamako (Mali), du 19 au 23 janvier, et sera suivi en avril 2006 d’une autre session à Karachi (Pakistan). Entre temps, tout est en marche pour la tenue durant la première semaine de mai du 4e Forum social européen à Athènes (Grèce).
 
L’« anti-Davos du Sud », né à Porto Alegre – où s’est tenue la première session en janvier 2001 – a connu depuis lors un développement accéléré : 5 forums mondiaux centralisés (2001, 2002, 2003 et 2005, dans la capitale du Rio Grande do Sul, et 2004 à Mumbai) ; une session policentrique sur 3 continents (2006) ; trois forums continentaux européens (Italie, France et Grande-Bretagne) ; deux forums continentaux latino-américains (Equateur et Caracas) ; des dizaines de rencontres nationales (dont deux en Suisse) ; des centaines de rencontres thématiques ou régionales…
 
Tout cela semble prouver que ce « marathon de réunions » répond à un énorme besoin de la société civile planétaire, qui faiblement reliée auparavant, acquière une personnalité propre depuis 2001, simplement pour se connaître.
On compte déjà par milliers les organisations, associations, réseaux, mouvements sociaux et campagnes qui se connaissent entre elles. Derrière tous leurs noms, se trouvent des êtres humains, en chair et os, qui rompent les tendances individualistes générées par le système dominant pour se connaître, se rencontrer et débattre.
 
Il serait faux d’idéaliser ce processus et beaucoup plus dangereux de se satisfaire des pas franchis jusqu’ici pour les considérer comme suffisants, voire comme des triomphes. L’inviabilité de l’actuel système socio-économique hégémonique à l’échelle planétaire est si évidente, la dégradation que ce système inflige à la terre est si profonde, que tout effort humain, si énorme soit-il, est toujours insuffisant.
 
La vulgarisation du concept des « temps politiques accélérés », nécessaire pour éviter l’auto-destruction de la planète, fut peut-être l’apport essentiel du Forum qui vient de prendre fin à Caracas. On ne peut continuellement d’attendre éternellement, en considérant l’extinction progressive de la Terre due à un système illogique, inviable et inhumain.
Certainement, le Forum économique mondial – qui vient de se terminer à Davos – a débattu essentiellement d’une meilleure rentabilité, des meilleurs bénéfices, de la « productivité » la plus efficiente. A Caracas, le débat essentiel concernait la responsabilité, maintenant très actuelle, de l’espèce humaine pour sauver la planète.
 
On pourra accuser le Forum social mondial d’un manque de propositions. Or, il s’agit d’un processus et les alternatives (contre le tout puissant dieu argent) ne sont pas faciles à identifier. Néanmoins, à Caracas la préoccupation envers la terre et l’espèce humaine a prévalu. Ce n’est pas peu.
 
Quelqu’un a dit à Caracas que les grands problèmes mondiaux pourraient commencer à être résolus avec seulement un « petit » fait politique : si les Etats-Unis « déclaraient la paix au monde ». Je complèterais cette proposition de la manière suivante : et si Davos déclarait la fin de la misère sur la terre ?
 
Sergio Ferrari, de Caracas
Traduction H.P. Renk
Collaboration E-CHANGER
 
1) argument que l’on retrouve dans les médias a-critiques, et à plus forte raison adeptes du « capitalisme réellement existant », après chacune des sessions du FSM depuis 2001…

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