Colombie: à la porte des élections

Clara Lopez Obregón n’est pas seulement depuis avril passé la présidente nationale du Pôle Démocratique Alternatif (PDA), mais elle est également la candidate nationale de son parti à la vice-présidence de la République, accompagnant Gustavo Petro pour les élections du 30 mai prochain. Economiste et professeure d’université, elle est cofondatrice du Comité Permanent des Droits Humains et ex-Secrétaire du Gouvernement de l’actuelle Mairie de Bogotá. De plus, elle a été la personnalité politique qui a révélé le scandale des “faux positifs”, l’un des principaux fiascos de l’administration d’Alvaro Uribe, un fardeau qui discrédite son candidat Juan Manuel Santos. Entretien exclusif.

 
Les résultats des législatives de mars passé n’ont pas été aussi positifs que le PDA l’espérait. Et s’il est clair que l’abstention – 55% de l’électorat potentiel – a été la grande particularité de ce scrutin, pour Clara Lopez, les résultats ne constituent pas une défaite mortifère pour son parti. “Il ne s’agit en aucun cas d’une débâcle”, souligne-t-elle. “Nous avons maintenu, pour le Sénat, les mêmes résultats qu’il y a 4 ans; et à Bogotá, où nous sommes à la Mairie, nous avons progressé”, ajoute-t-elle.
 
« Un autre concept de sécurité »
 
Au sujet de la philosophie politique du Pôle, dans un pays traversé par plus de 50 ans de guerre, Lopez parle de la “sécurité citoyenne fondée sur les droits et cimentée dans un plan de développement qui cherche à ce que la population ait accès à l’essentiel au niveau social”.
 
Un principe qui s’oppose clairement aux politiques de “sécurité fondée uniquement sur l’usage de la force”, que clame l’ « uribisme »  depuis 10 ans, avec son slogan de “sécurité démocratique”, explique-t-elle.
 
Passant de la théorie au concret, la candidate à la vice-présidence rappelle la manière avec laquelle la mairie de Bogotá – dont elle a fait partie – a assumé mi 2009  le conflit généré par l’occupation du Parc du Troisième Millénaire par 7’000 déplacés, afin de défendre un grand cahier de revendications face à un gouvernement national insensible à leurs problèmes.
 
Cela a débouché sur trois mois de négociations tendues, mais sans un seul recours à la force ni à la violence publique, signale Lopez.
 
Les secteurs conservateurs et les politiciens traditionnels, “demandaient une main ferme. Mais, comme Gouvernement municipal, nous nous sommes opposés à l’utilisation de la force publique. Nous avons appelé l’ACNUR (Organisation des Nations Unies pour les réfugiés) comme médiatrice; nous avons convoqué, en tant que témoin moral, la Commission de Conciliation de l’Eglise Catholique, et nous avons promu des représentants du « Ministère Publique » comme garants du respect des accords.”
 
“Et la négociation a pu avoir lieu. Premièrement avec le gouvernement central, afin qu’il accepte cette procédure, et ensuite avec les personnes impliquées.” La résolution du conflit, insiste-t-elle, a été positive. Pour le Pôle, “elle nous a permis de démontrer que les conflits sociaux doivent se régler grâce à la négociation, au dialogue et à la concertation, et que l’usage de la force, dans un pays traversé par d’énormes différences sociales, ne doit servir que pour combattre les délits communs”.
 
« Si cela a été possible à Bogotá, cette méthodologie est possible et viable dans toute la Colombie », souligne Clara Lopez. Elle met ainsi en garde contre la “confusion historique dans ce pays face aux manifestations sociales, généralement stigmatisées, persécutées et considérées par le pouvoir comme un délit grave”.
 
Un petit espace pour la négociation
 
Pratiquement aucun candidat à la présidence ne s’est risqué à parler durant la campagne de la négociation avec les guérillas, et en particulier avec les FARC.
 
Cette réalité est corroborée par Clara Lopez, qui admet que “l’espace pour une négociation politique est aujourd’hui très réduit… Il y a même certains secteurs de la gauche qui ont peur de se prononcer sur ce que nous incluons dans nos idées fortes: la nécessité de promouvoir la construction de la paix et la réconciliation au travers de solutions politiques négociées au conflit armé”.
 
Et en parlant de conflit, il s’agit également des responsabilités de ce dernier. La critique fuse, tant pour les uns que pour les autres. “Les FARC ne contribuent en rien à l’ampliation des espaces démocratiques dans le pays.” Il a déjà été démontré en Amérique latine, à Bogota (la Mairie en main du Pôle), à Nariño, à Cali, “qu’en faisant usage des armes de la démocratie, il est possible d’accéder à des espaces de pouvoir, même si c’est au prix de grandes difficultés”.
 
Cependant, on ne peut pas mettre toute la faute sur “les groupes armés illégaux”, souligne-t-elle. “La faute se situe dans un déficit réel de la démocratie, et dans le manque de tolérance et d’ouverture  des instances officielles mêmes.” Et l’exemple ne manque pas à la candidate à la vice-présidente: “les injures du gouvernement, qui stigmatise le Pôle Démocratique Alternatif comme étant un nid de guérilleros, rend un bien mauvais service à la démocratie”.
 
L’Etat et le pouvoir doivent assumer leurs responsabilités essentielles, insiste-t-elle. “La para-politique est la pire expérience vécue de ce pays”, avec des réalités terribles, comme celle des “faux positifs”.
 
« En tant que secrétaire du Gouvernement, j’ai été la personne qui a rendu visible (Ndr: dénoncé) le sujet des faux positifs, c’est-à-dire, des disparitions forcées ».
 
Premièrement, on m’a traitée d’”irresponsable”, et l’on m’a attaquée. Peu après, le président Uribe lui-même “m’a donnée raison, et a dû se séparer du service de 29 officiels et accepter la démission du commandant de l’armée”.
 
Un terrible solde de ces 8 dernières années de gouvernement est ainsi sur le point de se terminer, soit “1300 cas, qui incluent environ 3000 jeunes, assassinés par des mercenaires et des intégrants des forces publiques”.
 
Et les statistiques, dans ce cas, ne mentent pas, conclut Clara Lopez. “96% de ces cas de disparitions forcées se sont passés entre 2002 et le présent, c’est-à-dire durant la présidence de Alvaro Uribe, et 69% sous la gestion de l’ex Ministre de la défense et actuel candidat à la Présidence du parti au pouvoir, Juan Manuel Santos”.
 
 
*Sergio Ferrari, de retour de Colombie,
 Interview réalisée en avril 2010 dans le cadre
 d’une délégation suisse organisée par  E-CHANGER.
Traduction Mathieu Glayre

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