Italie : Le gouvernement Meloni criminalise la protestation sociale

Lever la tête face à Giorgia Meloni
Emmenée par le parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, la coalition au pouvoir veut remodeler la Constitution italienne et bâillonner les mouvements sociaux – qui résistent sur plusieurs fronts.

Giorgia Meloni  ne s’en cache pas. Elle veut faire de son projet politique la référence pour l’extrême droite européenne. Depuis son arrivée à la tête de l’Italie, en octobre 2022, la première ministre promeut des politiques favorables au grand capital; elle pratique des coupes significatives dans l’éducation et la santé publique; elle combat frontalement les immigré·es et a supprimé le revenu de citoyenneté, un subside dont bénéficiaient une grande partie des familles pauvres et des personnes sans emploi. En parallèle, la dirigeante du parti néofasciste Fratelli d’Italia et ses allié·es veulent imposer une nouvelle loi répressive et antisociale. Approuvé le 18 septembre par la Chambre des député·es, le texte attend sa prochaine ratification – ou rectification – par le Sénat.

Criminaliser la protestation
Renommée «loi-bâillon» par ses opposant·es, la loi 1660 introduit plus de vingt nouveaux types de délits et de circonstances aggravantes. Elle permet, entre autres, de prononcer des peines allant jusqu’à deux ans de prison contre des grévistes et des personnes participant à des protestations pacifiques impliquant des coupures de routes ou de voies ferrées. Le texte instaure le concept de «terrorisme de la parole», prévoyant des sanctions pouvant s’élever jusqu’à six ans de prison pour ceux qui feraient l’éloge des luttes sociales. Squatter une maison, un local vide ou encore se solidariser avec une occupation pourra impliquer sept ans de privation de liberté. Tout type de résistance active pourra être puni d’une peine pouvant s’élever à quinze ans d’incarcération – quatre ans en cas de résistance passive. Les protestations au sein des prisons et des centres d’accueil pour immigré·es en situation «irrégulière» pourront coûter 20 ans d’emprisonnement à leurs auteurs. En parallèle, la loi prévoit de nouvelles sanctions contre les immigré·es sans permis de séjour: ils ne pourront par exemple plus obtenir de cartes SIM pour leurs portables. Le texte pénalise aussi sévèrement la mendicité dans les lieux publics et permet le port d’armes privées à l’ensemble des membres des forces de police, sans même avoir besoin d’un permis.

«Ils cherchent à criminaliser tout type de protestation et à faire taire les voix critiques, en niant des droits démocratiques essentiels», affirme Paolo Banci. Cet ancien syndicaliste, militant social de longue date en Toscane, est aussi le président de la section locale de l’Association nationale des partisans d’Italie (ANPI), une des plus grandes organisations sociales présentes sur l’ensemble du territoire italien, dans la commune de Rignano sull’Arno, à quelques kilomètres de la ville de Florence. Il a répondu aux questions du Courrier.
Désorientation et désillusion
Selon Paolo Banci, comprendre le résultat des élections parlementaires de septembre 2022, où le parti d’extrême-droite Fratelli d’Italia et ses alliés (la Lega, Forza Italia et les démocrates-chrétiens de Noi moderati) ont obtenu 44 % des votes, passe par une critique des partis du centre et de gauche. Lorsqu’elles étaient au pouvoir, ces formations ont en effet fait preuve d’une grande timidité politique: «En abandonnant les secteurs les plus pauvres, ces partis ont accru le mécontentement populaire et ouvert les portes du gouvernement à l’extrême droite», affirme Paolo Banci. Et le militant de souligner que l’alliance pilotée par Giorgia Meloni, appuyée par les pouvoirs économique et médiatique, «est en train de gagner la bataille culturelle et le combat idéologique, mettant le peuple sur la défensive». Cette coalition «a promis des améliorations qu’elle n’a pas réalisées; elle a mis en œuvre des politiques qui n’avaient pas été annoncées dans sa campagne électorale – imposant ainsi des arguments et des discours paternalistes, simplistes et autoritaires qui continuent d’affecter l’ensemble des forces progressistes», conclut Banci.

Au sein des organisations de base de la société civile, «nous sommes très critiques des grands partis de centre-gauche qui n’ont pas répondu aux attentes des gens et sont responsables scénario actuel. Ils ont pensé qu’il serait suffisant de mener une bonne gestion administrative. La réalité a démontré le contraire. Conséquence: le peuple italien a perdu l’espoir du changement et opté pour une voie conservatrice. Il manque aujourd’hui une alternative de pouvoir qui soit réellement progressiste», ajoute le militant.

Si Paolo Banci estime que la conjoncture politique alimente le pessimisme au sein des mouvements populaires, il souligne cependant que «rien n’est définitif: des signaux d’espoir pour l’avenir continuent d’apparaître.» A titre d’exemple, il cite le large front associatif qui s’est manifesté en Italie en faveur de la fin de l’agression militaire contre Gaza et de la reconnaissance officielle de l’Etat palestinien. «Les partis de centre-gauche participent à ce front, mais ils n’y jouent pas le rôle central», précise l’ex-syndicaliste.
Le retour du mouvement antiguerre
Bien que l’avenir politique italien soit plein d’incertitudes et de défis, les mouvements sociaux ne baissent pas les bras. «Nous continuons à mener une mobilisation de base permanente en défense des droits syndicaux et en appui aux entreprises occupées. Nous continuons à défendre nos revendications sociales, en faveur de la paix et contre le bellicisme, à exprimer notre solidarité avec les immigré·es et à réactualiser la mémoire collective antifasciste», affirme Paolo Banci. L’association des partisan·es qu’il préside est une incarnation de cette combativité: «Nous réussissons à réunir plus de 150 000 membres dans tout le pays – plus que le nombre de personnes affiliées à certains des principaux partis. Et de nombreux jeunes, qui refusent d’adhérer à une formation politique, demandent à rejoindre notre association».

Autre élément positif, le mouvement anti-guerre a fait un retour marqué dans la péninsule. En septembre, des mobilisations ont par exemple eu lieu dans la région de Florence, protestant contre la volonté gouvernementale d’y installer le commandement de l’OTAN pour le sud-est de l’Europe – une instance qui s’ajouterait aux nombreuses bases militaires, nord-américaines et de l’alliance atlantique, présentes depuis des années sur le sol italien.

Pour Paolo Banci, ces réseaux militants et ces efforts de mobilisation «pourraient se transformer, à l’avenir, en point de départ de la construction d’une alternative au gouvernement actuel. Un signe d’espoir qui devra continuer à grandir – malgré la domination actuelle de l’extrême droite».

Sergio Ferrari, Le Courrier
https://lecourrier.ch/2024/10/20/lever-la-tete-face-a-giorgia-meloni/

Tradution Hans-Peter Renk

_________________________________________________________________

LEVÉE DE BOUCLIERS CONTRE LA LOI D’AUTONOMIE
C’est un autre front important pour les mouvements sociaux. Lancée par la Lega de Matteo Salvini, aujourd’hui vice-Premier ministre au sein du gouvernement Meloni, la nouvelle loi sur l’autonomie différenciée a été adoptée en juin par le parlement italien. Le texte permet à Rome d’accorder une autonomie accrue aux autorités régionales pour des fonctions clés – le système sanitaire, l’éducation, l’environnement, la culture ou les transports. Selon les nombreuses associations et organisations sociales et culturelles qui s’y opposent, cette loi creuserait ainsi l’écart entre le Nord de l’Italie, plus riche, au détriment du Sud moins développé. «Ce texte divise le pays; il étouffe les politiques environnementales; il affecte l’éducation et la santé publique; il pénalise les communes et les régions de l’intérieur; il complique la vie des entreprises et fait obstacle au développement national», énumère Paolo Banci. Cette nouvelle législation rencontre cependant une forte résistance. «Jusqu’à début octobre, nous avions recueilli environ 1 300 000 signatures – soit plus du double de ce qu’exige la loi – demandant l’organisation d’un référendum contre la loi d’autonomie, avec une proportion importante de jeunes signataires. Bien que les partis de centre-gauche appuient cette initiative, ils ne jouent pas le rôle décisif au sein de ce mouvement, qui présente avant tout un profil socio-culturel et syndical», explique Paolo Banci. Cinq régions du pays contestent également la validité de la loi devant la Cour constitutionnelle. En novembre, cette dernière statuera sur la constitutionnalité du texte. Si elle identifiait certains de ses aspects comme contraires à la Constitution, cela ouvrirait la possibilité d’une votation populaire. Un scrutin qui serait, selon le militant social, «un nouveau et grand défi pour obtenir une majorité dans les urnes». (Sergio Ferrari)

Laisser un commentaire