Les crises de la vache folle et de la grippe aviaire, le traitement inhumain des animaux d’élevage, la malnutrition et les désastres environnementaux causés par une agriculture irresponsable mettent clairement en cause le type d’agriculture intensive dominante, appelé également productiviste. Issu d’une époque au cours de laquelle la sagesse populaire croyait que quantité rimait avec santé et croissance, le paradigme productiviste touche à ses limites : économiquement rentable pour le grand business, sa poursuite posera inévitablement encore plus de problèmes environnementaux, sociaux et de santé publique.
D’un point de vue environnemental, les monocultures intensives nécessitant un usage massif de produits chimiques provoquent notamment l’épuisement de la fertilité des sols, l’érosion, le déboisement et la régression de la biodiversité et des nappes phréatiques. Selon une étude de l’Université de Californie, ce style dominant d’agriculture est destiné à devenir la plus grande cause de changement environnemental global de ces prochains 50 ans. Son impact pourrait être égal à l’impact du changement climatique. L’étude souligne la nécessité d’un mode de production agricole qui soit plus modéré et durable.
D’un point de vue social, les résultats du paradigme productiviste sont quelque peu frustrants : profits pour une minorité, faillite et dépossession pour un grand nombre, érosion du tissu social au sein des communautés paysannes, remplacement de l’économie locale par une économie basée sur l’exportation des récoltes et perte du savoir local. Malgré les efforts de productivité, 1.2 milliards de personnes souffrent toujours de la faim lorsque de l’autre côté de la planète 3 millions de personnes meurent chaque année d’obésité. Paradoxal, n’est-ce pas ?
Quels sont les scénarios d’avenir?
Deux possibilités se profilent à l’horizon pour remplacer le paradigme productiviste : le paradigme intégrant les sciences de la vie et le paradigme intégrant l’écologie. Les deux s’inspirent de la biologie, mais avec une approche différente.
Le paradigme des sciences de la vie, qui va au-delà de la modification génétique et inclut toute la gamme de la biotechnologie, implique l’usage et la manipulation d’organismes vivants dans la production et le traitement d’aliments. La biotechnologie des OGM est la plus connue et déjà extrêmement contestée en Europe à cause de la méconnaissance de ses implications à long terme sur le consommateur et l’environnent. A l’instar du paradigme productiviste, la révolution génétique repose sur la monoculture qui risque d’entraîner une vague de faillites chez les petits fermiers, conduisant les plus pauvres à la dépossession de leurs terres au profit de spéculateurs. Par ailleurs la recherche et la propriété intellectuelle resteront surtout le monopole des pays industrialisés.
Bien qu’en hausse et fortement soutenu par les gouvernements, le paradigme intégrant l’écologie reste encore le plus marginalisé des trois paradigmes, commercialement parlant, parce les preuves de sa capacité à satisfaire une demande globale ne sont pas encore convaincantes. Basé sur la biologie, ce paradigme reconnaît l’interdépendance entre l’homme et la nature et promeut une agriculture « illuminée » (C. Tudge, 2004) qui se base sur le bon sens, le respect du cycle biologique et les différences environnementales et culturelles. L’agriculture organique s’inspire d’une agriculture ‘soft’ (F. Schumacher, 1989), à petite échelle et avec un accent local. Le consommateur n’est pas seulement l’objectif de vente mais une personne qui mérite des aliments sains, produits dans le respect des limites de notre environnement.
Et où sont les consommateurs ?
La conception de l’alimentation pour une partie des consommateurs occidentaux est d’un côté celle du plus grand choix, toute l’année, à prix cassés, et de l’autre côté celle des repas sur le pouce, déjà cuisinés de préférence. Cette conception est idéale pour assouvir les besoins croissants et le style de vie qui s’adapte au rythme infernal d’aujourd’hui, par contre délétère pour la santé, les producteurs et le développement dans le tiers-monde.
Selon un sondage effectué en Angleterre, les consommateurs commencent néanmoins à faire preuve d’un intérêt croissant aux aspects liés à la santé et à la sécurité alimentaire : ils sont de plus en plus critiques par rapport à l’usage de pesticides, aux dangers d’exposition à des irradiations, aux OGM, etc. La réponse de l’industrie alimentaire a été ad hoc et expéditive : en ajoutant juste quelques vitamines, minéraux et fibres aux aliments contestés, elle traite la santé comme un instrument marketing.
Est-ce que vous croyez que l’obésité, par exemple, peut être combattue simplement en produisant des produits faibles en matière grasse ou en recherchant des solutions dans la biotechnologie ? J’en doute.
Toujours selon le sondage, l’insuffisance d’information sur l’étiquette, l’éthique d’élevage des animaux et des achats et les aspects environnementaux rencontrent encore peu, voire très peu d’intérêt. Simple manque d’information ou reniement d’une vérité connue ? Plus de curiosité et d’engagement de la part des consommateurs contribueraient à pousser l’industrie en question à une plus grande responsabilisation.
Si le business de l’alimentation devait payer les frais environnementaux et sociaux engendrés par le type de production actuelle, la réalité serait bien différente. Pour l’instant c’est le public qui paie et la grosse industrie alimentaire qui s’enrichit.
Quo vadis ?
L’agriculture conventionnelle et le paradigme alimentaire productiviste sont en pleine crise: les problèmes et les coûts de santé sont en croissance, les dommages à l’environnement sont de plus en plus évidents. La faim dans le monde n’a pas encore été éradiquée et la société civile demande plus de responsabilisation de la part des acteurs concernés.
La réponse est peut-être dans le soutien des mouvements organiques et de l’agriculture de proximité qui produit sans substances chimiques, en respectant les sols, en tenant compte des spécificités locales, ici comme ailleurs, pour des produits plus sains et en communion avec la nature et l’homme.
Une industrie alimentaire durable nécessite une approche systémique qui touche la santé, l’environnement, le commerce, les transports, les régulations, l’éducation et les différents niveaux de gouvernance. Même si une telle vision semble difficile dans la pensée économique actuelle, les industries pionnières d’aujourd’hui seront les industries à succès de demain.
En attendant que les violons des différents intérêts s’accordent, «soyez vous-même le changement que vous voulez voir dans le monde» comme disait M. Gandhi et transformez-vous de consommateurs en consom’acteurs.
Nicole Thonnard Voillat
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info@ shiftingvalues,com
Pour en savoir plus :
La revue durable : www.revuedurable.com
Nice future : www.nicefuture.com
F. Schumacher : « Small is beautiful » HarperBusiness, 1989.
C. Tudge: “So shall we reap” Penguin Books, 2004.