MONOCULTURE D’EUCALYPTUS, COMMUNAUTÉS RURALES ET PÉNURIE D’EAU

La monoculture d’eucalyptus implantée dans la Vallée de Jequitinhonha au profit de multinationales métallurgiques a des conséquences délétères autant sur l’environnement que sur les conditions de vie des populations de la région. Fondé en 1994, le Centre d’Agriculture Alternative – Vicente Nica (CAV) s’est donné pour but d’améliorer le niveau de vie, les relations humaines et à l’environnement des habitant-e-s de la Vallée du Jequitinhonha.

L’implantation d’une multinationale sidérurgique dans la région

La Haute Vallée du Jequitinhonha, dans le nord-est de l’état du Minas Gerais, au Brésil, se distingue par la présence de plateaux où il y avait à l’origine de l’eau et des terres fertiles. Cette région, responsables de recharger les sources d’eau dont se servaient collectivement les familles qui y vivent, est soumise à des conditions climatiques particulières, notamment à de longues périodes de sécheresse, avec environ huit mois sans pluie et des températures élevées. Dans les années 70, le gouvernement du Minas Gerais s’est approprié une grande partie

de ces plateaux, par le biais d’une entreprise publique. Après la privatisation de cette entreprise, celle-ci a fusionné avec différentes multinationales. Depuis 2006, elle a rejoint l’un des plus grands groupes sidérurgiques au monde.

L’implantation de ces aciéries a été accompagnée par la mise en place d’immenses plantations d’eucalyptus afin de fournir le charbon nécessaire pour les faire fonctionner. Cette monoculture a remplacé des forêts d’origine du biome Cerrado (environnement de savanes présent en Amérique Latine et particulièrement au Brésil) doté d’une grande biodiversité. Des études montrent que 6 litres d’eau par jour et par mètre carré s’évaporent des plants d’eucalyptus, 4x plus qu’avec les plantes originaires du cerrado. Vingt ans après, des effets drastiques émergent, notamment l’assèchement des sources et des cours d’eau. À partir de cette réalité, une étude de cas a été réalisée sur le plateau des Veredas auprès de six communautés rurales. L’étude a été réalisée dans le cadre d’un partenariat entre le CAV et le Núcleo de Pesquisa e Apoio à Agricultura Familiar Justino Obers (PPJ).

Pénuries structurelles d’eau et inégalités socioéconomiques

Cette étude a mis en évidence un ensemble de dilemmes et de défis socioéconomiques et environnementaux en lien avec cette monoculture. L’assèchement des sources d’eau naturelles entraîne une pénurie structurelle d’eau dans le microbassin du fleuve Fanado et provoque un ensemble d’inégalités d’accès aux sources d’eau. Car, bien qu’il pleuve beaucoup pendant l’année, les sources ne coulent plus et le débit du fleuve Fanado ne s’améliore pas. Il n’augmente son débit que pendant la saison des pluies et des crues. La récupération des sources et, par conséquent, l’augmentation du débit du fleuve demande des décennies et des décennies d’actions de protection et de rétablissement de l’environnement.

Cette pénurie d’eau systémique s’accompagne de profonds processus d’inégalité dans l’accès à cette ressource. Certaines familles ne disposent que de 43 litres d’eau par personne et par jour alors que d’autres foyers peuvent en obtenir plus car elles ont de meilleurs revenus et ne sont pas aussi dépendantes des services publics. Ainsi, la pénurie entraîne une inégalité d’accès aux sources qui est principalement liée à des critères de revenu : moins de revenus, moins d’eau ; plus de revenus, plus d’eau. Ces inégalités sont très perverses dans le cadre d’un développement local durable.

Alors que les communautés rurales qui bordent le plateau de Veredas ont un accès restreint à l ’eau pour l a consommation domestique, les entreprises possédant les monocultures d’eucalyptus possèdent elles le monopole de l’accès et de l’utilisation de l’eau. Cela crée donc une pénurie qui impacte également les agriculteurs/trices.

Les familles dépendent du débit limité des puits artésiens, du camion-citerne qu’elles doivent demander à la municipalité pour être approvisionnées ainsi que de la construction et la mise en oeuvre d’un ensemble de politiques et de programmes publics qui permettent aux communautés d’avoir des sources « construites ». Il y a donc, dans les communautés recherchées, une énorme insécurité de l’approvisionnement en eau.

Interdépendance entre l’environnement et les conditions de vie des communautés

Une réflexion importante menée par les communautés rurales présentées dans cette étude concerne l’utilisation sociale et environnementale des plateaux. Ceux-ci constituent un écosystème extrêmement important pour la dynamique des communautés locales. Ce sont des territoires essentiels car ce sont des espaces de recharge des sources d’eau. Ils font partie historiquement des activités productives, agro-extractives et de valorisation des déchets des communautés, conciliant développement et protection de l’environnement. Il serait fondamental de réfléchir à l’utilisation sociale et environnementale des plateaux dans l’approvisionnement en eau et autres ressources naturelles, notamment aux pratiques liées à l’extraction et à l’utilisation des résidus de bois présents sur ce plateau dans le développement de toute la société. Ainsi, la pénurie d’eau est probablement la question la plus sensible dans l’analyse des impacts socio-environnementaux issus de la monoculture d’eucalyptus. Cependant, d’autres aspects qui en découlent aggravent la situation tels que : l’expropriation des familles rurales de leurs terres, la perte du droit d’usage d’espaces communautaires sur les plateaux, l’utilisation de pesticides à grande échelle, la pollution de l’air par les fumées des fours à charbon, parmi tant d’autres facteurs qui contribuent à amplifier les inégalités.

Un réseau international est nécessaire

Sur la base de relations développées au fil des décennies avec les populations « affectées » par la monoculture d’eucalyptus, le CAV s’associe à d’autres organisations sociales au Brésil, en Allemagne, en Suisse et en Italie pour créer et promouvoir un réseau international dans le but de sensibiliser la population et les organisations internationales aux impacts sociaux et environnementaux de la monoculture d’eucalyptus sur la vie des communautés rurales, notamment dans la vallée du Jequitinhonha. L’objectif est d’ainsi réduire les impacts environnementaux, sociaux, économiques et sanitaires occasionnés à ces populations par la monoculture. Il s’agit, in fine, d’une stratégie visant à rassembler des forces, particulièrement pour soutenir ces populations marginalisées qui souffrent le plus des impacts de cette monoculture.

Valmir Soares de Macedo, Flávia Maria Galizoni, Emília Pereira, Fernandes da Silva, Vico Mendes, Erick José Simão de Paula, Alan Oliveira dos Santos – Centre d’Agriculture Alternative Vicente Nica

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