Retour à Salvador, voilà près de six mois que nous avons atterri sur le sol bahianais. Cela nous semble être le bon moment pour vous raconter un peu le cheminement de notre intégration sur place.
S’intégrer sans parler
Les premières semaines se sont enchaînées sans que nous puissions avoir une quelconque emprise sur le temps ou notre environnement. Bien évidemment, l’apprentissage de la langue nous est apparue comme une priorité tant notre niveau de brésilien ne nous permettait pas de nous exprimer tel que nous le voulions. Pourtant, ce qui aurait pu paraître comme une lacune s’est transformée a fortiori en atout. Quasiment voués au silence lors des réunions, obligés à observer la dynamique de nos partenaires, nous ne pouvions pas froisser, bousculer ou encore apparaître intrusifs. Nos deux caractères plutôt expansifs dans la prise de parole vivaient de ce fait un sentiment de frustration illustré ci et là par des mines défaites à chacune de nos phrases balbutiées. Seul échappatoire : l’autodérision.
A chaque visite de quartier, la coutume voulait que nous nous présentions publiquement devant un parterre de plusieurs dizaines de personnes. Et, à chaque fois, le même frisson parcourait notre corps au moment de nous lever pour honorer la curiosité de l’assemblée, forcés de constater que la culture orale des brésiliens n’a rien à voir, au final, avec les habitudes relativement timorées, voire pudiques de Suisses tels que nous.
Les présentations faites, il ne nous restait qu’à nous rapprocher à chaque fois un peu plus de la base du mouvement pour entamer un travail sur le terrain. Cantonnés au siège de l’UNIÃO, nous avons progressivement demandé à rencontrer plus de communautés et de bénéficiaires. Il nous a été donné d’accompagner des cours de « liderança » (destinés aux leaders du mouvement) et de capacitation des communautés tant au niveau de l’économie solidaire que de l’associativisme. Notre présence et nos progrès dans la langue ont somme tout ouvert quelques espaces informels d’échange interculturel.
Premier constat et divergence sémantique, le mot sans-toit ne désigne pas les habitants de la rue comme à l’accoutumée en Europe. Les sans-toits n’aiment du reste pas être confondus avec os moradores da rua, soit un habitant de la rue, ou plus péjorativement « os vagabundos » les vagabonds. D’ailleurs, les programmes sociaux supposés répondre aux besoins de chacun sont bel et bien distincts.
Dans la réalité brésilienne, un sans-toit ne possède pas sa propre maison et rencontre généralement des difficultés financières pour payer son loyer. Il vit souvent grâce aux faveurs de ses proches qui l’hébergent temporairement ou s’abrite dans des baraques de fortune faites de bois, de briques, de tôles et autres matériels récupérés dans les méandres de la cité – en un mot la favela.
L’approche interculturelle du contexte relevait évidemment de l’empathie et nous forçait à nous décentrer chaque jour un peu plus – à lâcher nos a priori. Notre degré de compréhension s’est développé au fur et à mesure, devenant une des clés majeures de notre intégration sur place.
Se rapprocher grâce à la lutte
Pourtant comprendre et valoriser l’expérience vécue par le mouvement au quotidien n’ont pas entièrement suffi à ce que nous créions des liens de proximité. Notre reconnaissance en tant que personne à part entière du mouvement a réellement débuté lorsque nous avons concrètement partagé leur lutte.
En février et mars 2007, l’UNIÃO a organisé une série de manifestations devant la préfecture de Salvador afin de récupérer le terrain occupé par une cohorte de sans-toits rivaux qui cherchait à s’accaparer cet espace valorisé car au bord de mer (Cf. article de ce bulletin : « Sans-toits contre sans-toits sous le même toit ». Le fait d’avoir participé à l’organisation de ces événements, d’avoir suivi leurs déroulements sur place, notamment en les aidant à rétablir les faits auprès de la presse locale, nous a permis de nous montrer sous un autre angle, plus revendicateur. De plus, les filmer, les photographier et proposer aux enfants de militants de dessiner leur maison de rêve, nous a permis de valoriser leur expérience et de leur donner de l’importance. Il s’est créé des relations plus confiantes entre nous et certains membres de l’UNIÃO. Nous étions parties prenantes de la lutte.
A la quête de concret
Travailler dans un mouvement social brésilien nous demande quotidiennement de rompre totalement avec nos habitudes professionnelles suisses. Sans horaire fixe, régulièrement en train d’attendre des personnes pour pouvoir entamer une réunion, sollicités plutôt les week-ends et les soirs, sans cesse en train d’inciter les acteurs du mouvement à plus communiquer en interne pour savoir quels sont les événements et réunions incontournables du mois, voire de la semaine, nous devons faire preuve d’une flexibilité qui nous met, parfois, à rude épreuve.
Plus concrètement, ces derniers mois, nous avons entamé des visites dans la communauté de nos 17 coordinateurs. Ces visites consistent à recueillir l’histoire de vie de nos collègues, à découvrir par ce même biais leur quartier et le cheminement des épreuves vécues. Ce travail nous permet d’entrer en profondeur dans la réalité de la lutte pour l’habitat, mais il est surtout le moyen de garder une trace écrite du patrimoine militant à Salvador.
Maintenant que la situation de la plage de Paripe s’est améliorée, une grande énergie est donnée pour lancer les travaux. Nous participons à ce processus de responsabilité mutuelle et accompagnons les futurs mutirões (N.d.l.r. : construction de quartier grâce à l’aide mutuelles de ses futurs habitants) à s’organiser pour la construction de leur maison.
Après avoir animé une journée de réflexion sur la communication interne et externe grâce à des méthodes participatives, nous tâcherons d’accompagner les moyens choisis par les membres du mouvement pour améliorer leur fonctionnement institutionnel. L’UNIÃO souhaite aussi développer la construction d’un site internet, l’édition d’un flyer et d’un journal interne ainsi que monter une radio communautaire. Nous serons donc présents pour accompagner l’élaboration de ces outils.
Six mois sur place, cela peut paraître long, mais, sur le terrain, cela ne représente à peine que les prémices d’une coopération réciproque et respectueuse de l’Autre. Nous sommes toujours dans l’expectative de plus, même si de nombreuses autres perspectives de travail s’offrent déjà à nous. Il faut bien avouer qu’ici, ce qui est projeté sur le papier ne pèse pas bien lourd face au moment présent.
Claire Rinaldi et Olivier Grobet