Voici quelques impressions, au retour d’un récent voyage de terrain (27/04-15/05/2011) qui a permis la rencontre et le dialogue avec tous les coopér-acteurs/trices, partenaires locaux et coordinateurs/trices de ces 3 programmes.
Une constante, tout d’abord, entre le Brésil, la Bolivie et le Nicaragua : durant une première phase, les trois gouvernements, chacun à sa manière, ont mis en place des programmes ou des politiques publiques orientées vers une redistribution des richesses et un processus de démocratisation. Cette politique a eu des effets notables en matière de lutte contre la pauvreté et dans le renforcement de la participation citoyenne de populations auparavant marginalisées (amélioration de la sécurité sociale des personnes âgées, appui à l’éducation, à la santé, aux familles à faible revenu, aux petits producteurs…). Plusieurs indicateurs socio-économiques ont ainsi progressé significativement dans les trois pays.
Puis apparaît progressivement une préoccupation majeure des gouvernements de ces pays : celle de leur maintien au pouvoir, d’autant que l’opposition tend à s’affaiblir. Préoccupation certes légitime, mais également source de contradictions. On peut y distinguer deux aspects. D’une part, un processus d’affaiblissement de la société civile, dû à l’intégration par les gouvernements de leaders de mouvements sociaux, phénomène parfois accompagné du non respect de certains espaces de participation populaire, voire d’une tendance à l’autoritarisme.
D’autre part, se mettent en place des stratégies de développement économique rapide, basé sur des mégaprojets peu respectueux de l’environnement et des populations affectées (ex. extractivisme et hydrocarbures en Bolivie, plan d’accélération de la croissance et hydro-électricité au Brésil). Ces choix rapportent certes à l’état d’importantes rentrées fiscales, permettant notamment le financement des politiques sociales, mais bénéficient surtout au pouvoir économique en place et au capital international. Ils se réalisent au détriment de projets productifs (agro-écologie, économie sociale et solidaire) renforçant le tissu économique national, mais plus longs et difficiles à mettre en œuvre.
Au Nicaragua et particulièrement en Bolivie, on constate une polarisation au sein de la société civile entre les organisations favorables au gouvernement et celles qui formulent des critiques et qui sont rapidement considérées comme oppositionnelles. Au Brésil, la situation est plus nuancée, probablement parce que les changements se sont faits progressivement et que la conjoncture économique est meilleure.
Qu’en est-il, dans ce contexte, des programmes de coopération de E-CH et des organisations partenaires ? Sans vouloir généraliser, on peut essayer de distinguer trois principaux types de comportement chez les organisations partenaires :
· certains mouvements poursuivent leur objectif visant à exercer une réelle influence politique, tout en maintenant une totale autonomie par rapport au gouvernement (Mouvement des paysans sans terre du Brésil et de Bolivie, organisations indigènes de l’Amazonie brésilienne ou de l’Oriente bolivien…) ; leur lutte est difficile : ils s’efforcent d’utiliser les espaces de participation citoyenne, mais doivent faire face à des tentatives de mise à l’écart, voire de criminalisation, par les lobbys économiques privés et les grand monopoles médiatiques.
· d’autres participent activement à la mise en œuvre de certains programmes sociaux gouvernementaux et bénéficient ainsi de moyens supplémentaires pour mener leurs actions (Union pour le logement populaire au Brésil, organisation de femmes paysannes Bartolinas Sisas en Bolivie, Association des travailleurs ruraux au Nicaragua) ; cela n’est pourtant pas sans contradictions, car le lien plus étroit de ces mouvements avec les partis gouvernementaux va souvent de pair avec une relative distanciation de leur base.
· les ONG engagées en faveur de groupes sociaux marginalisés spécifiques (handicapés, enfants des rues…), bien qu’articulées en réseau, n’ont pas d’impact significatif sur les politiques publiques et sont avant tout dépendantes des financements de la coopération internationale ; comme ceux-ci tendent à se réduire dans ces trois pays, elles se trouvent face à des défis croissants de durabilité.
Dans ce contexte, l’appui des coopér-acteurs/trices de E-CHANGER aux organisations partenaires est fort bienvenu et apprécié. Cette bonne réputation se fonde principalement sur les facteurs suivants :
– ils n’imposent pas leur point de vue ;
– ils fournissent des compétences professionnelles qui manquaient ;
– ils apportent un point de vue externe souvent très pertinent, permettant notamment de surmonter des difficultés internes d’organisation ;
– ils facilitent la mise en réseau et la solidarité Nord-Sud en général ;
– la collaboration de longue durée est très importante, ce qui démarque E-CHANGER de nombreuses organisations dont les volontaires s’engagent pour de courtes périodes, ne permettant pas aux partenaires du Sud d’en tirer pleinement le profit escompté.
Cependant, l’insertion sociale et professionnelle des nouveaux coopér-acteurs/trices n’est pas toujours facile. Créer une relation de confiance est indispensable et prend parfois plus de temps qu’on ne l’imagine. Une intégration réussie nécessite de la patience, de l’empathie et des compétences interculturelles, tant de la part des Suisses expatriés que de leurs collègues du Sud.
Autre constat important relatif à la pratique de E-CH en matière de coopération : les rencontres annuelles par pays sont des moments importants et privilégiés. Non seulement pour une meilleure connaissance mutuelle entre coopér-acteurs/trices et représentant-e-s des organisations partenaires, mais aussi pour discuter et approfondir des thématiques communes, liées par exemple à la conjoncture politique de chaque pays, ou encore pour susciter des échanges Sud-Sud entre institutions partenaires. Enfin elles représentent aussi l’opportunité de débattre avec les acteurs du terrain de la situation et des perspectives de E-CHANGER au niveau institutionnel.
En conclusion, dans la conjoncture actuelle, en dépit des contrastes déjà mentionnés, le développement des programmes Bolivie, Brésil et Nicaragua s’avère très positif. Nous avons pu constater que les axes prioritaires – participation citoyenne et souveraineté alimentaire – étaient très pertinents, relativement à la réalité concrète et actuelle de ces trois pays. Tous nos partenaires sont engagés dans ces thématiques avec des réussites significatives, tant au niveau de l’incidence politique que des améliorations concrètes pour les groupes bénéficiaires. Les contributions des coopér-acteurs/trices de E-CHANGER, suisses et nationaux, sont très appréciées par les organisations partenaires. La perspective d’un renforcement des synergies Sud-Sud et Sud-Nord a été favorablement accueillie, tout comme le rapprochement au niveau institutionnel avec Inter-Agire et la Mission Bethléem Immensee.
Bruno Clément, Responsable Partenariat Sud, E-CHANGER
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Eléments de la conjoncture politique :
Brésil : Luiz Ignacio Lula da Silva, du Parti des travailleurs (PT), président de 2002 à 2010, suivi de Dilma Roussef (PT), présidente dès 2011.
Bolivie : Evo Morales, du Mouvement vers le socialisme (MAS), élu président en 2005 et réélu en 2009.
Nicaragua : Daniel Ortega, du Front sandiniste de libération nationale (FSLN), élu à la présidence en 2006 et candidat aux prochaines élections de novembre 2011.