Tribunal Monsanto à La Haye : les victimes à la barre

Par Catherine Morand, Le Courrier

Durant deux jours -du vendredi 14 au dimanche 16 octobre-, des victimes de Monsanto se sont succédées à la barre d’un Tribunal citoyen à La Haye. Des récits terrifiants, qui incarnent l’impunité dont bénéficie la firme.

Des paysans, des chercheurs, des avocats, venus du Bangladesh, d’Inde, des Etats-Unis, du Canada, de France, du Mexique. Les récits sont précis, documentés: ceux de destins d’hommes et de femmes, sous toutes les latitudes, qui ont basculé, après avoir croisé la route de Monsanto, du glyphosate, de ses semences transgéniques; après avoir été empoisonnés, ruinés, ou avoir contracté un cancer. Un jeune avocat américain, Timothy Litzenburg, a expliqué devant le Tribunal citoyen réuni ce week-end à La Haye, aux Pays-Bas, qu’isolées, les victimes de la multinationale US – récemment rachetée par l’allemande Bayer – n’ont aucune chance. «Monsanto soutient partout des lobbies extrêmement puissants, qui enfument les pouvoirs publics et les médias; et ne laissent aucune chance à celles et ceux qui les critiquent ou intentent une action en justice contre elle.»

Timothy Litzenburg travaille dans un cabinet d’avocats, qui gère une cinquantaine de cas, actuellement pendants devant la justice. «Cela pourrait leur faire mal», estime-t-il, en précisant que Monsanto a provisionné un quart de milliards de dollars pour d’éventuels dédommagements. Il est venu à La Haye pour accompagner une de ses clientes, Christine Sheppard, une Américaine victime du RoundUp. «Je suis très diminuée, je subis un traitement lourd, pour empoisonnement. Mais je suis venue témoigner, car je ne veux pas que d’autres familles passent par là», a-t-elle expliqué.

Faire évoluer le droit international

Tels David contre Goliath, ceux qui ont essayé de faire valoir leurs droits face à Monsanto ont été laminés. Plusieurs chercheurs ont d’ailleurs témoigné du déluge de feu qui s’est abattu sur eux, après qu’ils aient publié des études mettant en cause le géant agrochimique. Et c’est là toute la raison d’être de ce Tribunal citoyen: permettre de faire évoluer le droit international, afin que face à des multinationales d’une telle puissance, le droit puisse également être dit, pour des victimes qui ne disposent pas de la même force de frappe. Et faire figurer le crime d’écocide dans les statuts de la Cour pénale internationale – dont le siège se trouve à la Haye – au même titre que le crime contre l’humanité, le génocide, le crime de guerre, et le crime d’agression.

Le Tribunal aura été en tout cas une occasion unique d’entendre ces apiculteurs mexicains, raconter comme le glyphosate avait contaminé y compris leur miel bio, et ruiné leur production; ce cotonculteur burkinabé, dont la production transgénique, imposée par Monsanto, s’est révélée de piètre qualité, et qui a perdu des sommes considérables; ces Argentins qui ont témoigné des malformations d’enfants, soumis à des épandages constants d’herbicides Monsanto sur le soja transgénique.

«Monsanto nous a menti et a menti au gouvernement», a également témoigné Krishan Bir Chaudhary, un leader paysan indien du Punjab. Avec une tristesse infinie, il a raconté comment la firme américaine avait asséché le marché des semences de coton conventionnel et occupent désormais 95% du marché indien du coton. «Gandhi filait le coton pour chasser pacifiquement le colonisateur britannique; mais le coton Bt de Monsanto nous a colonisés de manière encore plus brutale.»

Signes d’espoir

Motif de satisfaction, largement commenté durant le Tribunal citoyen: le procureur de la CPI a récemment annoncé que la Cour envisageait désormais de poursuivre des crimes environnementaux. Si cela se confirme, cela voudrait dire que les dirigeants d’entreprises pourraient être assignés en justice à La Haye, ce qui marquerait une véritable révolution en droit international.

Dans son allocution de clôture, la présidente du Tribunal Monsanto, Françoise Tulkens, qui fut pendant quatorze ans juge à la Cour européenne des droits de l’homme, a rendu un bel hommage à la société civile, dont l’initiative, espère-t-elle, contribuera à faire évoluer le droit international. Afin de permettre aux victimes de multinationales d’obtenir justice. Le droit n’étant jamais immuable et coulé dans le bronze, il doit en effet s’adapter à de nouvelles donnes. Et prendre en compte des crimes tels que l’accaparement des terres par des transnationales; ou des atteintes irréversibles à l’environnement et à la biodiversité, biens communs de l’humanité. «Ce Tribunal constitue un précédent historique», s’est pour sa part réjouie Marie-Monique Robin, une des «marraines» de l’opération.

Sentence juridique

Fruit d’une initiative citoyenne, le Tribunal n’a certes pas de statut officiel. Mais ses cinq juges, de renommée internationale, se baseront sur des textes de loi existants pour rendre leur sentence. Après délibérations, ils vont produire – d’ici quelques semaines, voire mois, en fonction de leurs travaux – un avis consultatif, après avoir examiné si Monsanto respecte le droit à l’alimentation, à la santé, à la liberté de la recherche scientifique, reconnus par le droit international.

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