Quelques brèves concernant l’Amazonie et les Indigènes du Brésil AYA Info – No 118 Genève, le 31 août 2017

« AYA Info » est en ligne sur deux sites Internet : Humanitaire.ws et MCI

 Deux membres de AYA à Bicho-Açu

Ce mois de juillet, Luisa et Virginie, deux membres de AYA ont eu l’occasion de se rendre en Amazonie, à Bicho-Açu (dans la commune de Santa Isabel do Rio Negro, une municipalité de l’État d’Amazonas). Elles ont pu assister au début d’un cours d’une dizaine de jours, organisé par le Service et Coopération avec le peuple Yanomami – SECOYA (le partenaire d’AYA) destiné à une quarantaine d’enseignants, Agents Indigènes de Santé, leaders des communautés des villages Yanomami du Rio Marauiá. Le sujet du cours : leur « capacitation » (formation) comme «  »Multiplicateurs interculturels » afin que les communautés yanomami puissent se situer dans leur environnement social et avoir ainsi un peu plus de pouvoir sur leur propre destin. Le cours était animé par Silvio Cavuscens, coordinateur de Secoya et Paulo, un indigéniste engagé de longue date en faveur de la cause indigène.

Luisa et Virginie ont été marquées par plusieurs choses. Tout d’abord les distances. Santa Isabel do Rio Negro est à près de 850 km de Manaus, la capitale de l’État, soit près de trois jours de navigation sur le Rio Negro. Ensuite, il faut remonter le Rio Marauiá jusqu’à Bicho-Açu le lieu du cours, la rivière heureusement, est en période de hautes eaux à ce moment de l’année.

Bicho-Açu est un village de 35 familles, soit environ 200 personnes. Il n’est pas question de pouvoir s’approvisionner sur place. Il est nécessaire d’apporter la totalité du matériel et de la nourriture pour le bon déroulement du cours. Une contrainte non négligeable, relèvent les deux visiteuses.

La réunion d’accueil de l’équipe de la Secoya par Daniel, un des leaders de la communauté de Bicho-Açu a aussi constitué, pour elles, un temps fort de cette visite.

Elles ont aussi relevé la démarche pédagogique utilisée pour le cours. Par exemple, les participants ont été appelés à expliquer ce que signifie, pour eux le terme « capacitation ». Ils ont eu à placer dans trois cercles les institutions ou services avec lesquels les communautés sont en relation. Virginie et Luisa ont été impressionnées par la facilité avec laquelle les participants s’expriment oralement. Ils prennent le temps de s’expliquer et de s’écouter longuement. En d’autres termes, elles ont découvert la richesse d’une autre culture.

Ce cours organisé par la SECOYA est financé par Terre des Hommes Suisse et le Mouvement pour la Coopération Internationale – MCI (Genève). Le poste de santé de Bicho-Açu a été construit avec l’appui de la commune d’Onex.

 Des leaders indigènes de passage à Genève

Ce mois de juillet, des représentants de peuples autochtones du Pérou et du Brésil étaient de passage en Suisse, et ailleurs en Europe. Ils étaient à Genève en particulier où se tenait, du 10 au 14 juillet, au Palais des Nations, la 10e session du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones. La Société pour les peuples menacés – SPM a organisé le déplacement de Davi Kopenawa, le leader Yanomami bien connu. L’association Aquaverde a aussi accueilli des leaders du peuple Paiter Surui. Deux rencontres ont été organisées pour le public genevois les 13 et 14 juillet, respectivement à la Maison Internationale des Associations et au Musée d’ethnographie. Les intervenants ont expliqué les menaces qui pèsent sur les peuples autochtones des deux pays. Au cours de leur séjour à Genève, ils ont pu rencontrer Mme Victoria Tauli Corpuz, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des Peuples Autochtones. Celle-ci a fait part de son inquiétude devant la dégradation récente et rapide des droits des peuples autochtones au Brésil. Dans son rapport, le président de la SPM dit avoir quitté le Palais des Nations avec des sentiments mitigés : « Le pouvoir limité pour s’imposer dont disposent les institutions onusiennes nous déçoit. En même temps l’engagement des personnes nous réjouit« .

Franklimberg de Freitas est confirmé à la tête de la FUNAI

Le 11 juillet, Eliseu Lemos Padilha, le chef de la « Maison civile » de la Présidence de la République (équivalent à un Premier Ministre) a signé un arrêté confirmant Franklimberg Ribeiro de Freitas à la présidence de la Fondation Nationale de l’Indien – FUNAI. Dès le 9 mai dernier*, ce militaire (il est général) avait assuré l’intérim à la tête de la Fondation après le départ d’Antonio Fernandes Toninho Costa en place depuis janvier 2017. Peu après cette nomination, l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil – APIB avait manifesté son opposition à cette militarisation de l’organe brésilien chargé de leur protection. En juin 2016**, l’Articulation avait obtenu du Gouvernement qu’il renonce à nommer un autre militaire, le général Roberto Sebastião Peternelli, à la tête de la Funai. Ces militaires sont proposés par le Parti Social Chrétien, un parti évangélique soutenant Michel Temer, le président de la République.

Cette forte réticence à l’égard des militaires date de la période de la dictature pendant laquelle les Indiens ont eu à subir de nombreuses violences de la part de l’armée.

De plus, la Funai a fait l’objet de coupes budgétaires qui ont entraîné la suppression de dizaines de postes, en particulier dans les Coordinations techniques régionales. Le rôle de protection des communautés indigènes que doit assumer la Fondation est fortement réduit. Ces mesures budgétaires s’ajoutent à d’autres comme le souligne l’Institut d’Etudes Socioéconomiques – INESC. Pour ce dernier, elles font partie d’un agenda anti-indigène voulu par le pouvoir exécutif et le Congrès national.

* Voir « AYA Info » No 116 du31 mai 2017

** Voir « AYA Info » No 111 du 29 août 2016

Moins de démarcations, plus de déforestation

Le 20 juillet, le Journal Officiel de l’Union a publié un « Parecer » (un Avis) signé par un haut fonctionnaire des services de l’Avocat Général de l’Union*. Ce texte concerne la démarcation (la protection) des Terres Indigènes – TI. Il demande à l’administration publique fédérale, directe ou indirecte, de respecter les indications données par le Tribunal Suprême Fédéral – STF quand celui-ci, en avril 2009, a validé la démarcation, en aire continue de l’emblématique TI Raposa Serra do Sol, homologuée par Lula en 2005. Dans les attendus du jugement, il est question de la « Marque temporelle », soit le fait que la démarcation est possible si les peuples indigènes occupent cette TI au moment de l’adoption de la Constitution fédérale, le 5 octobre 1988. Il est également fait mention d’autres conditions. Le « Parecer » du 20 juillet est perçu comme étant une entrave à la démarcation des TI.

L’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil – APIB conteste cet « Avis », en particulier l’institutionnalisation de la « marque temporelle », notamment parce que des Peuples ont été déplacés, éloignés de leur territoire traditionnel. Le 3 août, elle a déposé une plainte auprès du Procureur Général de la République à qui elle demande des mesures urgentes pour éviter le risque de dommages irréparables pour les peuples indigènes par l’interruption des processus de démarcation des TI. Elle a appelé les organisations indigènes à se mobiliser pour la défense des droits territoriaux : « Notre histoire ne commence pas en 1988« . Au 20 août, de nombreuses manifestations avaient eu lieu dans treize États du pays pour demander au Président de la République de révoquer le « Parecer » contesté.

Pour rappel, dans l’article 67 de « l’Acte des dispositions constitutionnelles transitoires » de 1988, les Constituants ont demandé à l’Union de conclure la démarcation des TI dans un délai de cinq ans, soit avant octobre 1993. Un quart de siècle est passé et toutes les TI du pays ne sont pas protégées!

Pour plusieurs observateurs, ce « Parecer » du gouvernement serait un gage donné au lobby de l’agrobusiness, très fort à la Chambre des Députés. En effet, fin juillet, il était prévu que celle-ci serait appelée à se prononcer au début août sur le maintien de Michel Temer à la Présidence de la République, celui-ci faisant l’objet d’une plainte devant le Tribunal Suprême Fédéral pour crime de corruption passive. De fait, le 2 août, la Chambre a refusé par 263 voix contre 227, et 2 abstentions, l’ouverture d’un tel procès.

En matière d’environnement, le Président Temer a récemment suscité de nombreuses réactions, Le 22 août, il a signé un décret supprimant la Réserve Nationale de Cobre e Associadas – RENCA, d’une superficie de 47’000 km2, créée en 1984, située à cheval sur les deux États du Pará et de l’Amapá**. Une réserve dans laquelle il y a neuf zones protégées, dont deux Terres Indigènes. Une décision souhaitée par les sociétés minières, la région étant connue pour receler de l’or et autres minerais. Plusieurs Sénateurs ont demandé l’annulation du décret. Le WWF-Brésil a souligné les dangers de cette décision pour cette partie de la forêt amazonienne. Face aux nombreuses réactions hostiles à ce décret, la Présidence de la République a rappelé que les aires protégées seront respectées !!! Ainsi, le 28 août, il a publié un nouveau décret qui annule celui du 22 août. Ce nouveau texte met bien fin à la RENCA, mais précise les conditions de l’exploitation minière. Cependant, la justice fédérale est intervenue le lendemain, 29 août, pour suspendre l’application de ce décret. Á suivre la réaction du gouvernement !

La situation dans laquelle se trouvent les peuples indigènes au Brésil inquiète diverses instances au niveau international, notamment à l’ONU, par exemple, Mme Victoria Tauli Corpuz, la Rapporteuse spéciale sur les droits des peuples autochtones. Le Brésil a signé la Convention 169 de l’OIT qui prévoit la consultation des peuples autochtones pour les affaires les concernant. Consultation qui, bien sûr, n’a pas été réalisée avant la publication, et du « Parecer » et du décret supprimant la RENCA. Le Gouvernement brésilien semble bien indifférent à ces inquiétudes onusiennes. Ce manque d’égard est-il dû au fait que ces peuples indigènes ne représentent moins de 0,5 % de la population du pays ?

***

* Service chargé de conseiller les différentes entités du pouvoir exécutif et de s’occuper des contentieux.

** Voir « AYA Info » No 81 du 28 mars 2013 Note sur les demandes de recherche et d’exploitation minière.

Un jugement de la Cour suprême satisfait les organisations indigènes

Le matin de ce 16 août, à l’unanimité, huit juges du Tribunal Suprême Fédéral – STF ont considéré sans fondement la demande de l’État du Mato Grosso qui contestait la démarcation de plusieurs Terres Indigènes – TI, en particulier celle du Parc Indigène du Xingu. Dans ce cas, l’État contestait l’occupation traditionnelle cette TI par les indigènes et réclamait une indemnisation pour avoir vu son territoire diminué au profit de l’État fédéral, les TI étant la propriété de l’Union.

La crainte des organisations indigènes et de leurs alliés était de voir le STF invalider la démarcation si celui-ci mettait en cause l’occupation traditionnelle par les indigènes de cette TI au moment de l’adoption de la Constitution fédérale le 5 octobre 1988. En effet le puissant lobby anti-indigène fait campagne actuellement au Brésil pour qu’à l’avenir, seules les Terres traditionnellement occupées à cette date puissent être démarquées. Cet argument*, appelé « Marque temporelle », aurait constitué une jurisprudence aux graves conséquences, notamment pour les peuples indigènes qui ont été déplacés de longue date et qui revendiquent une TI sur laquelle ils ne vivent plus. Mais aussi, la crainte est de voir contestée la démarcation d’autres TI.

Depuis plusieurs semaines, les organisations indigènes ont lancé une vaste campagne pour affirmer que l’histoire des indiens « Ne commence pas en 1988« . Elles considèrent que la décision du STF, qui n’a pas évoqué cet argument, est une première victoire !

* Voir note précédente

Amérindiens de Guyane : après les célébrations, la déception !

En décembre 2014, l’Assemblée générale des Nations Unies a décidé de célébrer, le 9 août de chaque année, une Journée internationale des peuples autochtones. Une décision reprise d’une résolution déjà adoptée en décembre 1994. Cette année 2017 marque le 10e anniversaire de l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Pour la septième fois, la Collectivité Territoriale de Guyane – CTG a organisé plusieurs manifestations, sur plusieurs sites pour marquer cette journée qui, cette année se déroule dans un contexte particulier. À relever que le président de la CTG, M. Rodolphe Alexandre a annoncé qu’il avait écrit à la Ministre des Outre mer pour que cette journée soit fériée en Guyane.

Par ailleurs, la Préfecture de Guyane, qui a changé de titulaire*, a ouvert, en pleine période de congés, l’enquête publique sur l’ouverture des travaux miniers d’or secondaire de la Compagnie minière Montagne d’or. Ce projet d’exploitation aurifère est contesté par les organisations amérindiennes. Ces dernières sont appuyées par le collectif « Or de question » que la Ligue (française) des droits de l’homme a rejoint récemment. L’enquête publique a été prolongée jusqu’au 25 août. Selon ce collectif plus de 7’600 avis ont été déposés auprès du commissaire enquêteur.

Le 9 août, les chefs coutumiers de Guyane se sont réunis au village de Sainte Rose de Lima à Matoury. Ils ont débattu du projet minier. Treize d’entre eux y sont hostiles et deux se sont abstenus. La Jeunesse Autochtone de Guyane, la Fédération des Organisations Amérindiennes – FOAG et l’Organisation des Nations Amérindiennes de Guyane – ONAG ** sont également opposées à ce projet. Selon Guyane 1ère, le président de la CTG qui y est favorable, souhaite la mise en place rapide d’un grand débat : « Si le conseil coutumier nous donne un avis défavorable, nous sommes prêts, à la CTG, à organiser une consultation populaire de l’ensemble des Guyanais »… Une manière de contourner l’avis des Amérindiens ? Cette situation, et comme on va le voir, ce qui s’est passé en juillet, a conduit l’ONAG à boycotter, cette année, les manifestations organisées par la CTG pour la « Journée internationale des Peuples Autochtones ».

Ce printemps, la Guyane a été marquée par un mouvement social d’ampleur historique touchant la plupart des secteurs d’activités du territoire. Un « Accord de Guyane » a mis fin au conflit. Il s’agit maintenant de le mettre en œuvre. Les Amérindiens, réunis dans un « Collectif des Autochtones de Guyane », ont fait valoir leurs revendications *** touchant différents domaines : santé, éducation, droits culturels et territoriaux. Ils demandent en particulier au Gouvernement français la rétrocession de 400’000 ha de territoire qu’ils estiment être le leur et qu’il ratifie la Convention 169 de l’OIT. Ces différents points sont listés dans un protocole signé le 2 avril par la Ministre des Outre-mer de l’époque. Mais l’application de ce texte rencontre des difficultés.

Tout d’abord, le Collectif des Autochtones – CA n’a pas été invité au Premier « Comité de suivi » tenu à Paris le 11 juillet. Le 19 juillet, il a adressé une lettre à Annick Girardin, la Ministre des Outre-mer pour déplorer cette absence et demander à être invité aux prochaines réunions. Un « Comité local de suivi » a eu lieu le 20 juillet à l’amphithéâtre de l’Université de Guyane. Les différentes thématiques de l’accord doivent être traitées dans une quinzaine de réunions prévues entre le 16 et le 30 août. La préfecture a convoqué les associations membres du CA pour traiter des sujets qui le concerne pour une réunion qui a eu lieu le 21 août à la Préfecture. Selon un membre de ce Collectif, cette rencontre a été une déception. L’État avait invité un représentant du « Kollectif Pou Lagwiyann Dékolé » – KPLD qui est signataire de « l’Accord de Guyane ». Mais c’est une entité que le CA a quittée le 19 avril déjà. Ce représentant, toujours selon le CA, a contesté la rétrocession aux autochtones de 400’000 hectares de territoire. C’est à propos de ce sujet – le foncier – que la réunion a cessé. Pour poursuivre les discussions, les Autochtones proposent que le KPLD désigne un représentant qui soit un Amérindien. S’ils n’obtiennent pas satisfaction, ils envisagent de s’adresser aux instances onusiennes. À suivre…

***

* Le Conseil des Ministres (français) du 2 août a désigné M. Patrice Faure comme nouveau Préfet de la région Guyane à partir du 28 août. Il succède à M. Martin Jaeger en place depuis le 11 janvier 2016.

** Suite à la démission de Florencine Edouard qui réside désormais en métropole, l’ONAG a désigné Millca Sommer-Simonet nouvelle coordinatrice générale par intérim de l’organisation.

*** Voir « AYA Info » Nos 116 du 31 mai et 117 du 29 juin 2017.

Bernard Comoli

Important :

– L’activation des liens hypertextes (en rouge pourpre) renvoie aux sources utilisées pour la rédaction de ce bulletin. Elles sont souvent en portugais, sauf quand il s’agit d’anciens « AYA Info ».

PS : Ces brèves sont souvent reprises, détaillées et parfois illustrées, dans un blog du quotidien « La Tribune de Genève » à l’adresse suivante : http://bcomoli.blog.tdg.ch

AYA – Appui aux indiens Yanomami d’Amazonie

13 Rue des Bossons – CH 1213 Onex / Genève / CCP 17-55066-2

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