Le raz-de-marée étouffant des microplastiques

Un raz-de-marée toxique empoisonne les océans : entre 19 et 23 millions de tonnes de déchets plastiques aboutissent chaque année dans les lacs, les rivières et les mers. Ils ne représentent qu’une fraction des 400 millions de tonnes de ces déchets, issus de produits conçus pour n’être utilisés qu’une seule fois. Moins de 10 % de ce gigantesque total sont recyclés. Si cette tendance se poursuit, ces chiffres auront doublé d’ici 2040.

Au cours de la première semaine de juin, des experts des Nations unies ont vivement protesté et réitéré leurs mises en garde. David R. Boyd, rapporteur spécial sur les droits humains et l’environnement, et Marcos Orellana, rapporteur spécial sur les substances toxiques et les droits humains, sont revenus à la charge. Leurs déclarations ne laissent planer aucun doute : la production de matières plastiques repose presque exclusivement sur les combustibles fossiles et libère des substances toxiques. Le produit final contient des substances chimiques toxiques, ce qui présente des risques et des dommages graves pour la santé et l’environnement.

Le reste du monde scientifique avance des arguments solides : à la fin du cycle des plastiques en tant que biens de consommation, leurs déchets sont très polluants, car 85 de ces produits, qui ne peuvent être utilisés qu’une seule fois, finissent dans des décharges ou directement dans l’environnement.

Les expert·es des Nations unies insistent sur le fait que le plastique, les microplastiques et les substances dangereuses qu’ils contiennent se retrouvent déjà dans la nourriture, dans l’eau que nous buvons et l’air que nous respirons. Elles et ils mettent également en garde contre l’impact néfaste de ce type de pollution sur le climat, souvent sous-estimé. Un seul exemple : les particules de plastique dans les océans limitent la capacité des écosystèmes marins à éliminer les gaz à effet de serre.

Déjà en 2019, 220 espèces qui ingèrent des débris microplastiques dans des conditions naturelles ont été identifiées par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Nombre de ces espèces, telles que les moules, les huîtres, les palourdes et les crevettes, sont consommées par l’homme (https://www.fao.org/3/ca3540fr/ca3540fr.pdf).

Selon la FAO, les microplastiques, petites particules synthétiques issues de dérivés du pétrole et très difficilement dégradables, sont classés en primaires et secondaires. Les plastiques primaires sont ceux qui, après usage, sont jetés sans être filtrés ni purifiés. Leur taille miniature leur permet d’échapper à tout contrôle. C’est le cas des granulés, des poudres et des abrasifs domestiques et industriels utilisés, par exemple, dans les produits cosmétiques et les dentifrices. Les plastiques secondaires résultent de la dégradation d’autres produits du même type, qu’il s’agisse de la fragmentation de grandes structures synthétiques, de la libération de fibres lors du lavage de tissus et de vêtements, ou encore de l’abrasion de pneus de voitures en mouvement.

Les zones les plus touchées par la présence de ces produits sont la mer Méditerranée et les mers d’Asie de l’Est et du Sud-Est, ainsi que les zones de convergence équatoriale au nord de l’Atlantique et du Pacifique.

Les 50 endroits les plus pollués de la planète

Selon les expert·es, si tout le monde est touché par les effets négatifs du plastique, l’exposition à la pollution et aux déchets plastiques affecte surtout les communautés marginalisées. Les lieux ou régions particulièrement exposés à de hauts niveaux de pollution dus à l’exploitation du plastique et d’autres formes d’exploitation des ressources naturelles sont appelées « zones de sacrifice ». Il s’agit de sites où des usines, des mines et des raffineries ont été installées. Toutes ces activités produisent un niveau élevé de substances toxiques, polluent l’air, le sol et l’eau et menacent la santé des personnes vivant à proximité.

Le rapporteur de l’ONU David Boyd, en collaboration avec la chercheuse Mckenna Hadley-Burke et sous les auspices de deux départements de l’Université de Colombie Britannique, vient de publier le rapport « Zones sacrifiées : Les 50 lieux les plus pollués de la Terre », pour lequel quelque 80 personnalités et organisations environnementales de plusieurs continents ont été consultées (https://www.ohchr.org/sites/default/files/2022-03/SacrificeZones-userfriendlyversion.pdf).

La liste de ces zones sacrifiées est exhaustive : de Cerro de Pasco au Pérou à Grassy Narrows au Canada, elle comprend une quarantaine de pays sur tous les continents où se trouvent les points chauds de la pollution mondiale.

L’Amérique latine et les Caraïbes sont particulièrement vulnérables aux déchets marins et à d’autres menaces environnementales. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), 3’700’000 tonnes de pollution plastique provenant des pays de la région atteindront les océans rien qu’en 2020.

Ce rapport fait référence à plusieurs sites spécifiques, tels que La Oroya, au Pérou, où 99% des enfants vivant à proximité d’une fonderie de plomb présentent des taux élevés de plomb dans le sang. Ou encore les communautés indigènes Wayuú en Colombie, où la mine de charbon El Cerrejón pollue l’air et l’eau, provoquant des maladies respiratoires et des taux élevés de substances toxiques dans le sang.

Bien qu’il reste beaucoup à faire, les Nations unies reconnaissent que 27 des 33 pays du continent ont adopté des lois nationales ou locales visant à réduire, interdire ou éliminer les plastiques non recyclables. Sont recensées également quelques réalités et décisions réussies, telles que la Loi sur les plastiques à usage unique au Chili ou la législation de 2020 en Argentine qui interdit la production, l’importation et la commercialisation de produits cosmétiques et d’hygiène personnelle contenant des microbilles de plastique. Par ailleurs, 31 des 32 États du Mexique ont adopté des interdictions et des restrictions concernant différents produits à usage unique, tels que les sacs, les pailles en plastique et les produits en polystyrène expansé, ainsi que les microplastiques dans les produits d’hygiène personnelle. La ville de Mexico a renforcé son engagement en faveur de l’élimination de la pollution plastique, comme en témoigne sa décision de soutenir l’engagement mondial en faveur de la nouvelle économie des plastiques. Elle devient ainsi la première mégalopole de la région à établir une ligne d’action ferme sur ce problème environnemental.

Des alternatives sont possibles

En mai dernier, le Programme des Nations unies pour l’environnement a publié un rapport intitulé « Fermer le robinet : comment le monde peut mettre fin à la pollution plastique et créer une économie circulaire« . Ce rapport examine les modèles économiques et commerciaux permettant de remédier aux effets négatifs de l’économie du plastique. (https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/42277/Plastic_pollution.pdf?sequence=4)

Le rapport souligne que des solutions alternatives sont déjà disponibles et qu’un changement global dans les systèmes et secteurs concernés, soutenu par la législation nécessaire, générera une série d’avantages économiques et réduira les dommages à la santé humaine.

Il propose un changement systémique qui s’attaque aux causes profondes de la pollution plastique et combine la réduction de l’utilisation problématique et inutile du plastique avec une transformation du marché pour assurer la circularité des produits en plastique. La circularité implique la réutilisation, le recyclage et la réorientation-diversification, ainsi que la prise des mesures nécessaires pour remédier à l’impact historique de cette forme de pollution.

La réutilisation implique un changement radical d’attitude : d’une économie habituée à jeter les déchets sans penser aux conséquences, on passe à une économie de réutilisation. Cette nouvelle approche ne contribuera pas seulement à réduire la pollution par les déchets plastiques, elle garantira également des entreprises économiques plus rentables. D’autre part, la réorientation et la diversification de ce marché vers des alternatives durables nécessiteront des changements importants au niveau de la demande de la population, des cadres réglementaires et des coûts.

Les bonnes intentions et les propositions existent. La réalité est cependant marquée par d’autres logiques de société. En 2021, l’industrie des plastiques de l’Union européenne employait à elle seule 1,5 million de personnes dans 52’000 entreprises – petites et moyennes pour la plupart – et générait un chiffre d’affaires de 405 milliards d’euros.

Bien que la science confirme que les microplastiques sont déjà présents dans nos aliments et notre eau potable, les changements continueront à être lents et à peine perceptibles. Entre-temps, de nouvelles îles apparaîtront dans les profondeurs de la mer : celles formées par l’accumulation monumentale de déchets plastiques.

Sergio Ferrari

Traduction Rosemarie Fournier

 

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