Au cours des cinq dernières années, les utilisateurs de médias sociaux ont doublé dans le monde : de 2’300 millions en 2016 à 4’200 millions en 2021, selon un nouveau rapport de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture). Une réalité qui, tout en facilitant un plus grand accès aux contenus, aux sources et aux opinions, ne correspond pas nécessairement à une meilleure qualité de l’information.
La désinformation constitue une menace croissante pour les informations objectives, cohérentes, professionnelles et de source fiable. Les entreprises Internet agissent comme vecteurs, multiplicateurs et accélérateurs de cette tendance. Selon une étude du Massachusetts Institute of Technology sur Twitter, les fausses nouvelles « se propagent de manière considérablement plus répandue, plus large, plus rapide et plus profonde que la vérité ». En outre, dans un sondage Gallup réalisé en 2020 dans 142 pays, 57 % des internautes ont déclaré être inquiets de recevoir de fausses informations.
Dans ce scénario, les recettes publicitaires – essentielles à la survie du secteur – se sont rapidement déplacées des médias vers les compagnies Internet.
Deux géants américains, Google et Facebook (transformé en « Meta » en octobre 2021), représentent actuellement près de la moitié de toutes les dépenses publicitaires numériques mondiales. Meta compte trois milliards d’utilisateurs et utilisatrices et 200 millions d’entreprises utilisant ses applications. Il assure la circulation de 100 millards de messages par jour. Google, le site web le plus visité au monde, a la capacité de traiter un milliard de recherches par jour.
Selon le rapport de l’UNESCO « Tendances mondiales de la liberté d’expression et du développement des médias 2020-2021 » (https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000379826_fre).
les recettes publicitaires des journaux ont diminué de moitié au cours des cinq dernières années. Si l’on considère la dernière décennie, la perte est de deux tiers. Cette situation a de profondes répercussions sur les publics du monde entier, en particulier pour identifier les sources d’information fiables. Le rapport souligne encore que « lorsque les communautés perdent leurs sources d’information locales, les niveaux d’engagement civique en souffrent ».
Censure et agression contre la presse
La crise financière de l’entreprise journalistique s’exprime dans de nombreux pays par la fermeture accélérée de journaux, de magazines et d’autres médias. Elle a été aggravée au cours de la dernière décennie par l’érosion des libertés de la presse.
Selon les données de l’UNESCO, des lois pénales criminalisant la *diffamation* sont en vigueur dans quelque 160 pays. En outre, depuis 2016, quelque 44 pays ont adopté ou modifié une législation dont la formulation est vague et ou les sanctions sont disproportionnées concernant les contenus en ligne. À cela s’ajoutent les cas de plus en plus nombreux de blocage de services d’information en ligne et de piratage de divers sites web de médias, ainsi que la surveillance illégale des journalistes.
Dans son classement mondial de la liberté de la presse 2021, Reporters sans frontières a identifié des entraves graves à la pratique du journalisme dans 73 pays et des obstacles dans 59 des 180 pays évalués, c’est-à-dire un 73% (https://rsf.org/fr/classement-mondial-de-la-liberte-de-la-presse-2021-le-journalisme-est-un-vaccin-contre-la).
Des balles contre l’information
Le tableau d’affichage tragique du site de la FIJ (Fédération internationale des journalistes) (https://www.ifj.org/fr.html?Index=2794&Language=EN&cHash=2551bb7535f5b9a7c6a90c41ae442a6f ), mis à jour quotidiennement, indique que 18 membres des médias ont été tué·es entre le début de l’année et le 21 mars. Selon la FIJ, entre janvier et mars, six spécialistes des médias ont également été tué·es en Tanzanie, quatre dans le cadre du conflit en cours entre la Russie et l’Ukraine et huit en Méxique.
De 2016 à fin 2021, diverses organisations internationales ont recensé 455 journalistes tué·es dans l’exercice de leur métier. Avec le facteur aggravant que près de neuf sur dix de ces affaires restent non résolues. Le taux élevé d’impunité au niveau mondial apparaît comme l’une des menaces les plus graves pour le journalisme. Autre visage de l’insécurité subie par la profession : fin 2020, plus de 270 journalistes étaient emprisonné·es.
En outre, la forte violence en ligne à l’encontre des journalistes, notamment des femmes, est une autre tendance aggravante. Le rapport de l’UNESCO révèle qu’en 2021, sept femmes journalistes sur dix interrogées avaient subi des violences en ligne. Un cinquième d’entre elles ont souffert d’attaques personnelles ou de mauvais traitements liés à des menaces reçues précédemment en ligne.
Des attaques ont également eu lieu contre des journalistes couvrant des rassemblements publics, des manifestations ou des émeutes. Entre janvier et août de l’année dernière, ces attaques ont atteint une fréquence inquiétante. L’UNESCO a enregistré de tels faits dans au moins 60 pays. Depuis 2015, au moins 13 journalistes ont été tué·es en couvrant des manifestations de rue.
Un avenir incertain
Au cours des cinq dernières années, près de 85% de la population mondiale a assisté à un recul de la liberté de la presse dans ses pays respectifs. Le nombre de meurtres, bien que stable ou en baisse, a connu un rebond significatif au cours du premier trimestre de 2022. La violence en ligne, en constante augmentation, se prolonge souvent en violence personnelle directe.
En outre, dans plusieurs pays, les changements rapides et les transformations financières et technologiques ont conduit à la fermeture de médias, en particulier de ceux qui desservent les communautés locales ou régionales. Dans certains cas, elles ont conduit à une concentration croissante des médias, absorbés par de grands groupes d’entreprises. En France, par exemple, dix milliardaires possèdent 90% des médias. Les trois grands groupes de médias suisses – RX Group, CH Media et Ringier – contrôlent 82% des médias en Suisse alémanique.
On a également assisté à un déplacement important du lectorat et de la publicité vers Internet, ce qui a eu un impact négatif sur la presse écrite. Il ne faut pas oublier non plus que l’impact économique de la pandémie a accentué la crise du journalisme, qui « menace désormais de déclencher une extinction massive des médias indépendants », souligne l’UNESCO.
Sergio Ferrari, de l’ONU, Genève, Suisse
*Traduction Rosemarie Fournier