Pérou : « L’emprisonnement de Pedro Castillo est illégal dans un pays sans Etat de droit »  

A mi-mai, l’avocat argentin Guido Croxatto – coordinateur de l’équipe de défense de l’ancien président péruvien Pedro Castillo – a frappé aux portes des Nations Unies à Genève. Le marathon juridico-politique en faveur de son client l’a conduit dans la majeure partie de l’Amérique latine et dans plusieurs capitales européennes.

Prochainement, avec le célèbre juriste Eugenio Zaffaroni (son compatriote et membre de l’équipe de défense), ils rendront à nouveau visite au président Andrés Manuel López Obrador, au Mexique. Celui-ci a élevé la voix pour dénoncer la situation actuelle de Castillo, détenu depuis le 7 décembre dernier dans une prison de Lima, la capitale péruvienne.

Il est très probable que, dans les prochains jours, « Castillo lui-même s’exprimera sur sa situation juridique et dénoncera les aspects procéduraux qui rendent sa détention totalement illégale », anticipe Guido Croxatto au début de son entretien avec Le Courrier.

Q : Pourquoi un avocat comme vous doit-il assumer des tâches « diplomatiques » et même se rendre aux Nations unies à Genève ?

Guido Croxatto (GC) : Question intéressante. Il est significatif et inquiétant qu’un avocat doive se rendre aux Nations unies pour exiger le respect des garanties fondamentales d’une procédure régulière ou qu’il prenne contact avec des présidents d’État dans le même but. Mais, dans le cas de Pedro Castillo, c’est nécessaire, étant donné que le système judiciaire péruvien ne garantit pas aujourd’hui l’impartialité et l’indépendance. C’est pourquoi l’équipe chargée de sa défense – composée de deux juristes internationaux et de membres péruviens, pour la plupart d’anciens ministres — a décidé de prendre la voie internationale. C’est ainsi que nous avons établi de nombreux contacts de haut niveau avec des représentant·es du système interaméricain, c’est-à-dire des organes de l’Organisation des États Américains (OEA). Nous avons également eu et continuons à promouvoir des réunions avec divers commissaires de haut niveau des Nations unies (ONU). Avec mon collègue Zaffaroni, nous avons présenté une demande de mesure de précaution devant la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) en faveur de notre client. Nous soutenons que les droits politiques du président illégalement évincé ont été violés. Les droits politiques de l’électorat sont également violés au Pérou, car le gouvernement actuel ne respecte pas les engagements qu’il a pris lors des élections. Cette situation a entraîné une réaction populaire intense et généralisée, qui a coûté la vie à plus de 70 manifestant·es depuis décembre dernier.

Q : Pouvez-vous vous fier à une organisation comme l’OEA qui est fortement remise en question pour son manque d’indépendance ? 

GC : Nous devons le faire. Nous savons que les institutions interaméricaines ont une image très ternie. Mais pour ne pas continuer à perdre de leur crédibilité, elles doivent justement faire preuve d’ouverture. Et c’est ce que nous recherchons : que nos arguments juridiques soient entendus et pris en compte. Les différents hauts fonctionnaires de l’ONU que nous avons rencontrés nous demandent des renseignements fiables et de première main. Ils disposent de très peu d’informations de qualité sur ce qui se passe réellement au Pérou. Nous devons leur expliquer les obstacles qu’on nous oppose, afin de pouvoir aider Pedro Castillo de manière adéquate. De même, les autorités péruviennes ont refusé que mon collègue Zaffaroni et moi-même rendions visite à notre client en prison, il y a quelques semaines.

 

Q : Le gouvernement péruvien soutient que l’emprisonnement de Pedro Castillo est justifié par sa tentative de dissoudre le Parlement. Quel est le point de vue juridique de la défense ? 

GC : Si un président dissout le Congrès, une procédure légale est définie au Pérou. Celle-ci n’a pas été respectée dans le cas de Pedro Castillo. Son poste devenu vacant a été mal géré. Les droits de la défense n’ont pas été respectés. On parle de l’ensemble des formalités essentielles qui doivent être observées dans toute procédure judiciaire, pour garantir ou défendre les droits et les libertés de toute personne accusée d’avoir commis un délit. À aucun moment, il n’a eu le droit d’être défendu. Son arrestation, alors qu’il était Président de la République, a été effectuée à l’aide d’armes lourdes pointées sur les membres de sa famille, dont sa fille cadette. En bref, il n’a eu droit à aucun processus politique conforme et adéquat à la Constitution. Par conséquent, son emprisonnement est arbitraire et illégal.

Q : Pour vous, cela signifie que tout le processus doit être relancé et que Castillo doit retrouver sa liberté ?

GC : Sans aucun doute. Et si nous le disons avec des arguments juridiques, de nombreux dirigeants latino-américains parmi les plus importants présentent également des arguments politiques en faveur de Castillo. Ces dernières semaines, nous avons rencontré, entre autres, le président du Mexique, Manuel Andrés López Obrador, et le président colombien, Gustavo Petro. Le 28 mars, López Obrador a envoyé une lettre au secrétaire général de l’ONU, António Guterres, signée par d’autres présidents du continent. Cette lettre explique que « le président Castillo a été destitué par le Congrès de son pays à travers un processus irrégulier, en violation de ses propres règles de procédure, sans respecter les questions minimales de procédure ». Elle souligne qu’il est « accusé de crimes qui ne s’appliquent pas, comme la rébellion, la conspiration et l’usurpation de fonction ». En outre, le Congrès lui a retiré son immunité présidentielle dans le cadre d’une procédure accélérée et sans aucune garantie d’audience, afin qu’il puisse être placé en détention provisoire pendant 36 mois ». La lettre poursuit en expliquant que « le Congrès et le pouvoir judiciaire lui ont imposé une guerre politique aussi bien que juridique – bien que cela semble incroyable à notre époque – par l’élitisme, la discrimination et le racisme… Castillo n’est pas accepté parce qu’il est montagnard et indigène… ».

Q : Quelle est la situation de la détention de votre client ? 

GC : En prison – comme le souligne également le président du Mexique dans sa lettre – il subit de mauvais traitements. Nous, ses avocats, n’avons pas le droit de le voir librement. Il n’a aucun contact avec sa famille exilée au Mexique. Tous ces éléments violent le système interaméricain et international des droits humains.

Je ne peux manquer de lier l’arrestation de Pedro Castillo à la répression que subit une grande partie du peuple péruvien, depuis les événements du 7 décembre dernier.  L’Etat de droit n’est pas respecté au Pérou aujourd’hui et l’impunité totale règne. Les femmes, les indigènes, les paysans, tous les secteurs qui se sont mobilisés contre la destitution de Castillo subissent une répression similaire à celle dont souffre le président en prison. C’est aussi à cela que font référence les dirigeants et les personnalités latino-américaines lorsqu’ils expriment leur préoccupation – comme le dit la lettre adressée au Secrétaire général des Nations unies – « pour la répression policière et militaire contre les manifestations sociales pacifiques, qui a fait plus de 70 morts, des centaines de blessés et de prisonniers arbitrairement détenus et torturés ». D’où l’importance du message de López Obrador au Conseil des droits humains de l’ONU : intervenez « pour rétablir l’État de droit et l’ordre constitutionnel au Pérou ».

Sergio Ferrari, Le Courrier
Traduction Rosemarie Fournier

 

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