Argentine: «On veut intimider le mouvement social»

Le durcissement des rapports sociaux depuis six mois s’est également traduit dans le domaine judiciaire. Détenue depuis le 16 janvier dans l’Etat nordiste de Jujuy – frontalier avec la Bolivie – , Milagro Sala, 52 ans, est, pour beaucoup, le symbole de cette volonté gouvernementale de mettre au pas les mouvements sociaux.

Dirigeante associative de renom, cette femme d’origine populaire et indigène s’est forgée au début des années 2000 dans le mouvement piquetero – qui occupait rues et routes pour faire connaître ses revendications en matière de logement, d’éducation, de santé et d’aide sociale. Mais c’est surtout comme cofondatrice de l’organisation de quartier Tupac Amaru, membre de la remuante Centrale des travailleurs d’Argentine, qu’elle s’est faite un nom, obtenant de l’Etat la mise en place de politiques sociales dans cette zone déshéritée du pays.

Une alliée du « kirchnerisme »

Alliée au «kirchnerisme» qui l’a portée au parlement provincial puis au Parlasur, Milagro Sala a vu le vent tourner lorsque l’opposition de l’époque remporte le gouvernement de Jujuy puis le pouvoir fédéral. Des accusations de trafics et de violences sont portées contre elle, avant que des perquisitions et une arrestation soient exécutées sans égard pour son statut d’élue.

«Elle est privée illégalement de sa liberté», accuse Luis Paz, l’avocat de la dirigeante populaire. Au Courrier, il explique qu’après quatre mois de détention, il n’existe aucun élément concret contre elle, si ce n’est des déclarations orales d’adversaires politiques.

La version de l’avocat est notamment confirmée par Amnesty International, qui a enjoint la justice à faire connaître précisément ses griefs ou à libérer Mme Sala.

En Argentine, la détention de Milagro Sala est devenue une source de clivage. Pour une partie de la société argentine, la militante est une victime de l’autoritarisme du nouveau gouvernement. Pour une autre, Milagro Sala aurait profité de ses appuis politiques précédents pour commettre de graves délits qui doivent être jugés.

Une détention illégale

Outre, la fragilité des preuves, le défenseur de Mme Sala pointe la violation de l’immunité parlementaire de sa cliente. Le procureur fédéral de la violence institutionnelle (PROCUVIN) a d’ailleurs jugé sa détention illégale et réclamé sa libération. Le cas a traversé les frontières et préoccupe la Commission interaméricaine des droits humains et le Groupe sur les détentions arbitraires de l’ONU, qui demandent ­également sa libération.

«La criminalisation de Milagro Sala répond à un projet politico-répressif, conclut Luis Paz. L’objectif est de discipliner les mouvements populaires du pays. C’est un test, un projet-pilote.» Si la procédure venait à se poursuivre de cette façon, chaque Argentin saurait qu’il court le risque d’être détenu et accusé sans respect du cadre constitutionnel, comme c’est arrivé durant les époques les plus sombres du passé.»

Sergio Ferrari, Le Courrier

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