Au cours des vingt dernières années, l’Union européenne a promu plus de quarante missions étrangères sur son propre continent, en Afrique ou au Moyen-Orient. La première a eu lieu en 2003 dans ce qui était alors la République yougoslave de Macédoine. Aujourd’hui, 24 missions sont encore en place, dont dix sont militaires et les autres civiles. Le débat sur la guerre et la paix et sur le rôle militaire de l’Europe devient central dans une région gravement blessée par la confrontation entre la Russie et l’Ukraine. Cette question pourrait influencer les élections du Parlement européen qui se tiendront entre le 6 et le 9 juin, avec des votes pour sanctionner ou soutenir les forces les plus bellicistes.
Les objectifs déclarés de ces missions comprennent des buts louables tels que la prévention des conflits, le renforcement de la paix et de la sécurité internationale, le soutien de l’État de droit ou la gestion des crises. L’UE affirme qu’elles sont adaptées aux circonstances locales et qu’elles impliquent généralement une formation militaire et la fourniture d’équipements aux armées nationales.
Toutefois, comme le montre le récent rapport du Transnational Institute (TNI) intitulé « Under the Radar : 20 Years of EU Military Missions », ces missions n’ont pas grand-chose à voir avec la « promotion de la paix, de la prospérité et de la sécurité ». Elles visent surtout la promotion des « intérêts européens » au détriment des intérêts locaux et des populations des États hôtes.
Selon TNI et dans un contexte critique, « la réponse de l’UE à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et, plus récemment, au génocide israélien à Gaza, n’est pas passée inaperçue aux yeux des Européens, dont beaucoup sont descendus dans la rue pour protester contre la complicité de l’UE dans la guerre et le génocide » (https://www.tni.org/es/node/18581).
Le rapport affirme que ces missions n’ont guère contribué à la résolution des conflits. C’est le cas, par exemple, en Bosnie-Herzégovine où les tensions sous-jacentes, enracinées dans des questions politiques non résolues, n’ont pu être débloquées par le déploiement de personnel militaire. Dans d’autres cas, comme dans la région du Sahel en Afrique, non seulement elles n’ont pas réussi à résoudre les conflits, mais elles les ont exacerbés.
En Afrique, au cours des 20 dernières années, de nombreuses forces militaires formées sous les auspices de l’UE ont perpétré des violations flagrantes des droits humains ou participé à des coups d’État militaires. Le Mozambique en est peut-être l’exemple le plus récent et le plus notoire, même s’il n’est pas exceptionnel. En dépit de son principe déclaré de respect de l’État de droit, l’UE a souvent soutenu des gouvernements corrompus et autoritaires, ou dont le bilan en matière de droits humains était médiocre. Cela afin de préserver ses propres intérêts politiques et économiques. « Il s’agit d’une attitude imprudente et irresponsable qui trahit les valeurs que l’UE prétend défendre », affirme le rapport de la TNI. Cette dernière précise encore que l’UE ne dispose pas d’une méthodologie adéquate pour évaluer l’efficacité de ses missions, au point qu’elle « admet elle-même qu’elle n’a atteint que peu de ses objectifs déclarés.
L’étude de la TNI note que ces missions, en raison de leur mode d’établissement et de fonctionnement, sapent les structures multilatérales, telles que les Nations unies, les États et les systèmes nationaux et régionaux. Elles souffrent également d’un grave manque de contrôle démocratique. Le Parlement européen, seule institution européenne démocratiquement élue, n’a qu’un pouvoir de décision très limité en matière de politique étrangère. Depuis plusieurs années, les missions militaires sont financées par un fonds extrabudgétaire échappant à tout contrôle démocratique. Enfin, elles échappent au contrôle judiciaire car l’UE ne dispose pas d’une organisation qui les sanctionnerait légalement à l’intérieur ou à l’extérieur. Elles ne relèvent pas non plus de la compétence de sa Cour de justice ou de la Convention européenne des droits de l’homme, qui ne s’applique qu’aux États membres.
Sergio Ferrari
Traduction Rosemarie Fournier